– « L?équipe de France vient de disputer le premier tour du championnat d?Europe à Nis, une ville que vous connaissez très bien?
Oui, c?est ma ville. J?ai commencé à jouer au handball dans la salle où les matches du premier tour ont eu lieu. A l?époque, j?étais ailière gauche. Je suis partie à Buducnost quand j?avais 18 ans (Podgorica, la capitale du Monténégro, qui n?était alors pas indépendant de la Serbie). J?ai donc vécu dix-huit années à Nis, et toute ma famille, ma mère, mon père et ma s?ur, y vivent encore. J?ai passé la semaine dernière avec eux, je voulais voir les matches de ce groupe B. Nis est une grande ville. J?y suis née, j?aime tout dans cette ville, même si je n?y suis plus beaucoup depuis quinze ans, à part en été. A Nis, les gens adorent le sport. Malheureusement, ils n?ont plus guère d?équipes de haut niveau à suivre, et cela me rend triste. Avant, il y avait du très haut niveau en handball, football, basket-ball, masculins et féminins.
Nis est aussi la ville qui a vu naître un certain Nikola Karabatic. Est-ce une coïncidence que le meilleur et la meilleure joueur(se) de la dernière décennie soient nés au même endroit ?
Je ne sais pas? Je ne le connaissais pas avant qu?il devienne un très bon joueur, ce n?est qu’à ce moment-là que j?ai appris qu?il était de Nis. Je ne l?ai jamais rencontré dans la salle de handball, puisqu?il est parti en France avant de commencer à jouer au handball. A Nis, et dans toute la Serbie, nous avons une tradition de formation de jeunes joueurs. A l?heure actuelle, le travail réalisé n?est pas suffisamment bon pour sortir à nouveau des grands joueurs, mais il y a assurément des jeunes ici qui peuvent devenir des grands noms du handball masculin et féminin, à condition de les trouver et de les former. Il y a toujours eu de bons sportifs à Nis.
« ON A EU DE LA CHANCE, JE DOIS LE DIRE. MAIS LA CHANCE SE MERITE »
Revenons au quart de finale des Jeux Olympiques de Londres, face à la France. Pourquoi avez-vous gagné ce match ?
Je n?ai revu aucun match des Jeux Olympiques, car je sais que ça me ferait pleurer d?émotion. C?était tellement beau d?être là-bas et d?aller jusqu?en finale? Ce quart de finale était le début de l?aventure. Nous savions que ce serait le match le plus important des Jeux. Dans la phase de poule, on n?a pas tellement bien joué, mais on voulait surtout se préparer pour la rencontre la plus décisive, celle contre la France. L’objectif était de monter en charge pour ce quart de finale. Dans ce match, on s?est beaucoup battues, et on a utilisé tout ce sur quoi on s?était entraînées pendant des années : on a été bonnes en défense, et on a été fortes dans nos têtes dans les moments où on devait accélérer, dans les dernières minutes. Je pense qu?on méritait d?aller en demi-finale. On a fait du bon travail toute l?année précédente avec Buducnost. On a appris pleins de choses en Ligue des Champions, des choses qu?on a pu utiliser pendant les Jeux Olympiques. Je sais que les Françaises ont été très tristes, parce qu?elles pensaient pouvoir aller en demies, comme elles l?ont fait de nombreuses fois par le passé. Mais je pense que nous étions plus prêtes qu?elles.
Vous vous souvenez sans doute de la dernière balle, sur laquelle vous vous jetez en même temps que Raphaëlle Tervel et qui décide du sort du match
?Oui, bien sûr. J?ai vu que nous avions perdu la balle et j?ai juste pensé à me jeter dessus pour la récupérer, je voulais gagner ce match? J?ai sauté, et finalement c?est moi qui l?ai récupérée. On a eu de la chance, je dois le dire. Mais la chance se mérite.
Vous avez semblé un peu éteinte lors de la finale olympique contre la Norvège (23-26). Etiez-vous submergée par l?émotion de jouer le dernier match de votre immense carrière ?
Peut-être? Je ne sais pas trop ce qui s?est passé. Je n?étais pas sous pression, j?ai apprécié ce match. Il n?y avait pas de meilleure façon pour moi que de finir ma carrière sur une finale olympique ! Le tournoi a été long, et peut-être que j?avais utilisé toute mon énergie sur les matchs d?avant, contre la France puis contre l?Espagne en demi-finale. Cela arrive de sentir ses jambes un peu lourdes, surtout quand ça ne se passe pas exactement comme on le voudrait. Je me suis battue contre tout ça pendant le match. Je pense aussi que les arbitres étaient un peu du côté norvégien, et je crois que j?ai perdu ma concentration dès le début du match à cause de cela, dès le moment où ils m?ont sifflé un marcher alors que j?avais fait deux pas avant de marquer un but. A partir de là, je me suis battue avec eux et j?ai perdu ma concentration. C?est de ma faute. Je sais bien que je ne dois pas faire cela, que je dois rester focalisée sur le match et oublier les arbitres.
Vous avez des regrets ?
Non, non. Je n?ai aucun regret sur ma carrière.
« J’AI JOUE AVEC MON COEUR, E J’AI PRIS BEAUCOUP DE PLAISIR »
Comment aimeriez-vous qu?on se souvienne de vous en tant que joueuse ?
Dans ma carrière, j?ai réalisé tout ce que j?ai senti devoir faire. Je l?ai fait avec tout mon c?ur. Je me suis battue pour mes coéquipières, pour l?équipe. Les gens peuvent se souvenir de moi comme ils le veulent. Moi, je suis très heureuse de toute ma carrière et des choix que j?ai faits, au Danemark puis à mon retour à Buducnost (en 2010, elle rompt son contrat avec Viborg pour rentrer au pays). J?ai joué avec mon c?ur, et j?ai pris beaucoup de plaisir. Je crois que les gens s?en sont rendus compte en me voyant.
Au final, ce ne sont donc pas les titres que vous avez remportés qui comptent le plus, mais la façon dont vous l?avez fait ?
Oui, absolument. Le plus important, c?est la manière, la démarche. J?ai apprécié chaque match. Ce qui est également important à mes yeux, c?est d?avoir pu aider d?autres joueuses à devenir meilleures.
Comment appréciez-vous votre nouvelle vie sans le handball ?
Cela me convient bien. J?ai plus de temps pour moi. Je passe encore pas mal de temps à la salle avec les filles. Je ne me suis pas beaucoup entraînée ces quatre derniers mois, pas autant qu?avant? Je n?éprouve pas de sensation de manque. Je n?ai pas ressenti ces derniers mois le besoin de revenir jouer. C?est une bonne chose que mon corps ne réclame pas cela. Tout le monde me demande si je vais rejouer pour Buducnost. La réponse est non, mais je fais toujours partie de l?équipe et je vais les aider à ma façon, en leur parlant, en leur donnant des conseils en attaque. Je peux leur apprendre beaucoup, et pendant les matches je peux les conseiller pour faire telle ou telle chose sur l?attaque suivante.
Vous participez beaucoup aux entraînements de Buducnost, vous êtes en quelque sorte une coach pour l?attaque, en plus de votre rôle de manager du club. Vous aimez cela ?
J?aime bien ce que je fais actuellement, oui, être aux entraînements et sur le banc pendant les matches. Je n?ai jamais eu en tête de devenir entraîneur. Je me suis dit qu?après mon dernier match, j?essaierais de fonder une famille et je verrais ce qui se passerait. Mais au bout de deux mois, je me suis dit que je pouvais faire quelque chose pour cette équipe, les aider dans plusieurs domaines, sur le terrain et en dehors. Plus tard, je serai peut-être entraîneur. Mais pas maintenant. Je ne suis pas prête pour cela. Ce serait trop tôt de m?engager ainsi après une longue carrière de joueuse. C?est très difficile d?être coach, il faut être concentré sur plein de choses en permanence. Si je le deviens, je serai à nouveau plongée dans tout ce qui va avec, la pression, etc. Je n?ai pas encore eu assez de temps pour me reposer.
« LES FRANCAISES DOIVENT CROIRENT DAVANTAGE EN ELLES »
Que pensez-vous de la Française Claudine Mendy, que vous suivez au quotidien avec Buducnost ?
C?est une fille bien, elle apprend la langue rapidement. Si elle apprend davantage, ce sera plus facile pour elle de s?intégrer à l?équipe. Elle fait du bon travail. Je pense qu?elle a un gros potentiel, elle est capable de pleins de choses, elle peut apprendre beaucoup. J?espère qu?elle prendra tout ce qu?elle pourra durant son passage à Buducnost. Les filles l?apprécient, ça se passe bien.
Qui est votre favori pour l?Euro qui se déroule actuellement ?
Je n?ai vu que le groupe B pour le moment. Je pense que tout le monde va progresser au fil de la compétition, car on n?a pas vu du handball parfait sur la première semaine. J?espère que le Monténégro ira au bout de la compétition, ce serait super qu?elles repartent à nouveau avec une médaille. Une médaille d?or bien sûr, je joue toujours pour l?or?
Que pensez-vous des chances de l?équipe de France ?
Les Françaises doivent encore travailler certaines choses. Pas dans le jeu, mais pour être plus fortes dans leur tête. Elles doivent croire davantage en elles, et alors elles pourront élever leur niveau de jeu. Elles ont un vrai potentiel, une bonne équipe, elles se connaissent? Elles ont juste besoin de croire davantage dans ce qu?elles font, et elles s?amélioreront. »