Il est, avec Jackson Richardson (1995), Bertrand Gille (2002), Nikola Karabatic (2007), Thierry Omeyer (2008) et Daniel Narcisse (2012) l’un des six Français à avoir été honoré du titre de meilleur joueur du monde. C’était en 1997, deux ans après le sacre de Reykjavik, juste avant de terminer meilleur buteur de la Bundesliga pour le plus grand bonheur de Minden. Stéphane Stoecklin reste comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire de ce sport, un gaucher au poignet magique, capable de dégainer de n’importe où. N’importe quand. Mais il est d’abord un homme atypique, profondément attachant, installé depuis neuf ans en Thaïlande où il vit la vie dont il a toujours rêvé. Une vie simple, au soleil, en famille. Son crédo ? Limiter au maximum les contraintes et profiter de chaque instant. À Bophut, au nord de Koh Samui, où il vient d’ouvrir un cottage, « The Jade », paradis intime et reposant, il cultive, avec son épouse et leur fille, ce bonheur qui saute aux yeux.

-«Quel temps fait-il, actuellement, à Koh Samui et comment vont les affaires ?
Il fait beau onze mois sur douze ici ! Les affaires vont bien, on est content. Surtout, on s?y sent bien. C?est une forme de progression logique. D?abord, il y a eu le restaurant, maintenant l?hôtel?

-Quand avez-vous ouvert « The Jade » ?
Il y a trois mois maintenant.

-À quoi ressemble pour vous une journée-type désormais ?
Une journée type ? On se lève pour préparer et servir les petits déjeuners pour les clients. On part ensuite faire les courses pour le midi. Nous avons les clients de l?hôtel, mais également des clients de l?extérieur pour déjeuner. Il y a le service puis, à partir de trois heures, c?est terminé. On s?occupe alors de la famille, on reprend une vie sociale? En revanche, on n?ouvre pas le soir. Peut-être plus tard. J?imagine bien des soirées avec un «musicos», genre saxo et le temps qui s?écoule?

-On se souvient avoir croisé un jour Frank Von Behren, votre ancien coéquipier à Minden, qui disait que, déjà à l’époque, vous aviez l’ambition d’ouvrir un restaurant après votre carrière. Il évoquait, lui, La Réunion… Etait-ce un rêve ? Une vocation ?
C?était un truc que l?on avait envie de faire avec Isa (son épouse). L?idée, c?était d?abord d?aller vivre au soleil. Quitter les «Spécial Hand » pour des « Spécial tong ». On avait parlé de La Réunion, c?est vrai. Mais la Réunion, c?est la France et donc toute sa complexité. Nous voulions une vie simple, sécurisante, des gens gentils. Et surtout le moins possible de contraintes. On parle ici du syndrome de la boite aux lettres. En France, les gens tremblent lorsqu?ils vont l?ouvrir. Ici, elle est toujours vide. Il n?y a que les factures d?électricité et d?Internet?

« NOUS VOULIONS UNE VIE SIMPLE »

-Nombreux de vos anciens partenaires ont assuré une reconversion dans, ou en tout cas, autour du handball… Et puis il y a quelques ovnis, vous, Frédéric Volle… N’avez-vous jamais été tenté par l’entraînement ?
Non, parce que je ne suis pas super patient. Je n?aurais pas eu la psychologie pour entraîner ou encadrer. Et puis j?ai toujours voulu changer de vie. Connaître autre chose. Me faire un cercle d?amis hors du handball. Depuis la section sports-études jusqu?à la fin de ma carrière, ça fait quelque vingt années consacrées au handball. C?est déjà beaucoup, non ? Toute ma carrière a été pensée avec cette idée derrière la tête. Je n?avais rien fait de particulier en terme d?études, et je voulais juste gagner de l?argent, le mettre de côté afin de m?offrir la vie que nous menons aujourd?hui. J?aurais peut-être pu gagner une Ligue des Champions, rester au top quelques années de plus en pensant différemment, mais je n?ai pas hésité une seconde à consentir des sacrifices pour mener cette vie cool?

-Avez-vous néanmoins pensé à ce que vous auriez pu faire si nous n’aviez pas choisi cette vie-là ?
Non, jamais. Tout roule comme on avait prévu. Je ne m?imagine pas tous les samedis dans une salle en tout cas?

-Étiez-vous déjà là quand le tsunami a ravagé la Thaïlande ?
Non, nous sommes arrivés quatre mois plus tard. Le tsunami a surtout frappé de l?autre côté, dans la mer d?Andaman. Koh Samui est sur la mer de Chine, et les effets n?ont évidemment pas été les mêmes que du côté de Phuket.

-Vous avez joué en Allemagne, mais surtout au Japon, destination pour le moins exotique… Qu’alliez-vous chercher dans ces différentes aventures ?
On ne cherchait pas grand chose en fait. Avec Charly (Frédéric Volle), nous nous sommes lancés dans l?aventure en pensant surtout à notre reconversion. Pour être honnête, on ne savait même pas où on allait, j?ai même regardé sur une carte pour situer Suzuka. On nous aurait proposé le même type de contrat au Mexique ou en Uruguay, nous serions partis en Amérique du Sud ! Mais au final, on a trouvé quelque chose de vraiment bien. La vie au Japon était un régal. Les gens étaient accueillants. C?est l?Asie et je crois que ce continent nous convient finalement plutôt bien puisque nous avons atterri en Thaïlande. Au départ, nous ne devions rester que trois ans au Japon. Nous y sommes restés cinq ans?

« JE SUIS LES RÉSULTATS SUR INTERNET »

-On suppose que vos amis handballeurs n’hésitent pas à vous rendre visite de temps à autres…
Pas mal sont passés, oui. Et pas mal doivent venir? Jack (Richardson), Lolo (Munier) sont venus. Boule (Gardent) est le plus ardent. Il accroche bien avec le style de vie d?ici. La dernière fois, il est venu au moment où Ciudad Real déposait le bilan. Il était scotché au téléphone toute la journée ! Nos familles viennent aussi. Vous comprendrez que dans un endroit où le soleil brille toute la journée, où il y a une piscine et de tels décors, on a beaucoup de copains? Je ne suis pas sûr que Kalou (Pascal Mahé) ait autant de visites à Chartres !!!?

-Quels contacts avez-vous nourri dans le handball ? Regardez-vous toujours des matches à la télé ?
Je suis les résultats par Internet. De temps en temps, j?ai quelques mecs au téléphone. J?ai regardé la finale de l?Euro, mais ça ne va pas au-delà de deux ou trois matches par an? Il n?y a que France 2 en live ici et le handball ne passe pas sur les autres chaines. Je regarde les résumés sur Internet, je lis les articles sur les joueurs.

-On imagine que les prestations du Toulousain Valentin Porte ne vous ont pas laissées indifférent lors du dernier Euro…
J?ai bien aimé ce garçon. Je n?en avais jamais entendu parler avant l?Euro. J?ai vu ce qu?il a fait contre l?Espagne, j?ai aimé son culot. Il a remis ça deux jours après, ça signifie qu?il a vraiment du potentiel. Et puis, ça a l?air d?un bon mec, avec la tête sur les épaules. Quelque part, il a vécu ce qui m?était arrivé en Islande. C?est parce que Philippe Schaaf se blesse avant le championnat du monde que mon rôle évolue. Sans ça, je serais resté à l?aile, ou même sur le banc? Et puis, il a un bon petit «bratas» le gars, il possède un peu tous les shoots. Il prend des marrons, mais il ne bronche pas, il a même l?air d?aimer ça? C?est vraiment une bonne nouvelle pour l?équipe de France, car ce poste d?arrière droit a souvent posé problème.

-Savez-vous qu’un autre jeune gaucher pourrait ne pas tarder à pointer le bout de son nez ?
Le petit de Jack, Melvynn ? C?est ça ? Il paraît qu?il est bon, oui. Mais il joue demi-centre, non ? J?ai vu aussi le fils de Belette (Arthur, fils de Frédéric Anquetil) avec Montpellier.

« EN CE MOMENT, IL Y A NIKO ET LES AUTRES »

-Quels joueurs vous inspirent aujourd’hui ?
J?aime bien le coup de poignet d?Hansen. Mais j?aime moins son jeu. Il a des shoots venus d?ailleurs. Après, en ce moment, il y a Niko (Karabatic) et les autres. Visiblement, les affaires ne l?ont pas éprouvé. À l?Euro, Titi (Omeyer) a mis les choses en place très vite et Toumout (Narcisse) a été bon quand il le fallait.

-Imaginiez-vous, à l’époque des Barjots, que le handball français pourrait à ce point régner sur la planète ?
À ce point-là, non. Le CV est impressionnant, c?est même presque trop. Je pensais à quelques titres, mais là? C?est vraiment extraordinaire. Même s?ils se trouent, ils sont capables de revenir, et visiblement, c?est parti pour durer. Par contre, je trouve que les adversaires ne sont pas au niveau auquel on pourrait les attendre. Les Danois ont été catastrophiques en finale. Les grands joueurs, tu les reconnais surtout dans les finales.

-De tous les titres décrochés depuis 2006, lequel vous a le plus étonné ?
Je n?ai pas tout vu, mais je suppose que tous gardent en mémoire la première médaille d?or olympique. C?est la plus dure à gagner, ils s?en souviendront toute leur vie. Moi, je l?aurais ressenti comme ça en tout cas.

-Prenez-vous toujours plaisir à suivre le handball d’aujourd’hui ? En quoi est-il fondamentalement différent de celui pratiqué à l’époque des Barjots ?
Il faut courir vite aujourd?hui. Tu n?as même plus le temps de regarder le public quand tu as marqué un but? Ce sont des athlètes, il n?y a pas d?arrêts de jeu, c?est presque un sport différent.

-Avez-vous trouvé trace de handball en Thaïlande ?
J?ai vu des cages, mais elles servent aux éléphants quand ils jouent au football. Il y a beaucoup de shows de ce genre ici. J?avais vu l?équipe thaïlandaise jouer au Japon, et un ou deux bons joueurs, sans plus. Les gens connaissent le handball, on joue un peu à l?école. Mais ça n?a rien à voir avec la boxe thaï, les combats de coq ou le takraw qui sont de véritables institutions.

-À l’époque où vous teniez «Le Boudoir », nous avions trouvé sur Internet une définition de l’endroit qui disait : tenu par un ancien joueur de handball. Vous êtes plus connu là-bas pour vos activités sur l’île que pour votre carrière à très haut niveau…
Je suis ici depuis neuf ans maintenant, et si certains savent que j?ai joué au handball, ils me connaissent surtout comme restaurateur.

-Vous avez été élu meilleur joueur du monde en 1997, décroché quantité de titres, incarné l’époque des Barjots, mais on a le sentiment que votre vie ne s’est jamais résumée à votre carrière de handballeur…
Oui et non? Je me suis investi parce que j?ai toujours su qu?il y aurait un après et que cet après passait par des sacrifices. Mais j?ai très tôt su qu?il n?y avait pas que le handball dans la vie, heureusement d?ailleurs?

-Au fait… Avez-vous fait un jubilé ? Pourquoi ne pas l’organiser à Koh Samui ? En 2015, dix ans après le terme de votre carrière…
Pourquoi pas? On affrète un charter spécial, on fait venir les potes? Non, je n?ai jamais pensé à un truc comme ça. Je n?ai pas envie de me prendre la tête à l?organiser, et puis nous sommes trop vieux maintenant, nous frôlerions le ridicule? Ou alors, on l?organise autour d?une table, pas sur un terrain de handball. Parce que l?important, c?est les potes. »