Entré dans le Hall of Fame des équipes de France en avril dernier, Joël Abati est l’invité de l’entretien du lundi. À l’occasion de la victoire de Magdebourg en Ligue des Champions dimanche à Cologne, l’ancien gladiateur évoque ses liens avec le club de l’ex-Allemagne de l’Est.
Ton cœur vibre-t-il toujours pour Magdebourg ?
Oui car j’ai vécu des moments extraordinaires à Magdebourg. Mes deux filles y sont nées aussi. J’y ai passé 10 ans et remporté quasiment tous mes titres en club. J’ai aussi vu ce que représentait le handball là-bas : la passion totale. J’ai été beaucoup marqué par mon passage.
Tu es aussi entré au Hall of Fame du club. Tu as récemment participé au tirage au sort de l’EHF EURO 2024. Es-tu touché par toutes ces attentions ?
Bien sûr que cela me touche. C’est à Magdebourg et au travers de la Bundesliga que j’ai été reconnu sur le plan international. Je n’oublie pas les moments forts que j’ai vécus et que je vis encore.
Le gardien suisse Nikola Portner (passé par Montpellier et Chambéry) évoquait dimanche soir un club familial qui favorise la performance. Est-ce aussi ton avis ?
Le club a mis Portner dans les meilleures conditions, comme tous les autres joueurs. On voit qu’ils sont heureux de jouer, qu’ils ont du plaisir à être ensemble. C’est très important de se sentir à l’aise. Dès son arrivée, Portner a su tout de suite créer de l’émotion et cela se ressent dans son jeu.
Les supporters sont extrêmement impliqués dans la vie du club et auprès des joueurs…
Lorsque ma première fille est née, les supporters ont déposé de nombreux cadeaux devant notre porte. En arrivant la salle, une vingtaine de cadeaux supplémentaires m’attendaient. Les fans avaient toujours le désir de me faire plaisir.
Pourtant, quand tu débarques en 1997 à Magdeboug, c’est un pari audacieux pour un joueur antillais…
La plupart des gens me demandaient ce que j’allais faire là-bas. C’était seulement quelques années après la chute du mur et le choix pouvait surprendre. Il y avait beaucoup d’à priori et j’ai démontré que c’était possible de vivre des moments exceptionnels, de permettre une nouvelle vision. Je n’ai pas seulement joué au handball. J’ai participé à des campagnes contre le racisme et je me suis rendu dans les écoles. Nous, les sportifs, devons apporter notre contribution et changer les mentalités. Les fans de Magdebourg ont constaté que je me battais pour les couleurs du club. Je me suis identifié à eux, à leur histoire, à leur culture et à leur langue. J’ai vécu une intégration parfaite et je n’ai pas ressenti de discrimination.
Au point de devenir ambassadeur de la ville !
Chaque année je me rends à Magdebourg et je reçois toujours les vœux de la Municipalité. J’y ai encore des amis et je suis en relation avec les dirigeants, les sponsors. Tout cela va bien au-delà du sport. Lorsque je jouais là-bas, j’étais parfois invité dans les clubs de fans et ils me préparaient des plats antillais. Certains sont même allés à la Martinique. Un jour ma mère a vu débarquer 5-6 fans qui, une fois revenus à Magdebourg, me montrent une photo. Je les vois avec ma mère qui ne m’avait rien dit. Les supporters me disaient : « On voulait voir d’où tu venais et qui étaient tes parents. »
Tu retournes d’ailleurs prochainement à Magdebourg…
Le 30 juin, je vais en effet disputer un match caritatif avec quelques-uns des anciens avec qui nous avons gagné la Ligue des Champions en 2002, face à une sélection d’anciens internationaux allemands parmi lesquels Christian Schwarzer et Stefan Kreitschmar. Magdebourg, c’est mon club de cœur et cela ne s’est jamais arrêté.
Quel souvenir conserves-tu de votre épopée en Ligue des champions en 2022 ?
Nous avions réussi à nous imposer contre Veszprèm qui comptait dans ses rangs Sterbik et Saracevic ! La saison précédente, nous avions été champions pour la première fois (Allemagne unifiée) et là on gagne la Ligue des Champions. C’était extraordinaire.
À Cologne dimanche, Magdebourg a réécrit l’histoire…
Oui c’est exactement ce qu’il s’est reproduit avec le titre de champion en 2022 et la Ligue des Champions remportée dimanche. Après 10 titres de champion d’Allemagne de l’Est, il faut bien imaginer que le club avait soif de reconnaissance. Ce désir est encore très présent dans l’ADN du club : les gars jouent sans complexes et ils ne lâchent jamais.
Si de nombreux internationaux français ont rejoint l’Allemagne après avoir brillé en équipe de France, ce sont tes performances en Bundesliga qui t’ont installé en équipe de France.
Je jouais à Créteil et il fallait que je montre quelque chose de différent. Je voulais démontrer à Daniel (Costantini) que je n’étais pas un simple outsider, que je pouvais être titulaire. Il fallait que je marque les esprits, que l’on parle de moi. Ce choix de rejoindre Magdebourg en 1997 s’est révélé payant. Daniel m’a ensuite appelé en me disant « Veux-tu faire le Mondial 2001 ». Je lui ai répondu : « si tu m’appelles, je ne partirai plus. » Ce statut, je l’ai tellement désiré, car c’était tellement difficile d’entrer en équipe de France.