Dans exactement 30 semaines, s’ouvriront les Jeux de Paris 2024 et l’entrée en lice des équipes de France championnes olympiques en titre. Avec les 50 nuances de Jeux, nous désirons vous faire revivre, chaque semaine, les épopées de l’équipe de France au travers de huit olympiades, de Barcelone 92 avec la première médaille décrochée par les Bronzés de Daniel Costantini, jusqu’à Tokyo où les deux collectifs se sont parés d’or. Des histoires singulières, des anecdotes, des portraits, des coups d’arrêts aussi où pendant trois éditions (1996, 2000 et 2004), le handball français rongeait son frein pour mieux briller à Pékin et à Tokyo, en passant par Londres et Rio. Vingtième-et-unième épisode avec « En apesanteur ».

PÉKIN – HOMMES

En apesanteur

Le débat est crispé, le chassé-croisé incessant. Drago Vukovic vient d’égaliser à 22. Il reste moins de huit minutes à jouer. Michaël Guigou puis Daniel Narcisse offrent un merveilleux répit (24-22, 54e) mais les cinq minutes suivantes sont absolument suffocantes. Les défenses excellent, Thierry Omeyer se surpasse, le suspense désengourdit les fidèles du palais national de Pékin.

Dans quatre-vingt-dix secondes, les Bleus seront assurés de leur deuxième médaille olympique. Ils ont la balle dans leurs mains moites, titubent mais ne se résignent pas. Igor Chernega et Victor Paladenko, les deux arbitres, finissent néanmoins par prévenir le refus de jeu. Corner pour la France. Une seule passe autorisée. Michaël Guigou jette un coup d’oeil périphérique. « Je vois tout au ralenti, raconte-t-il. Je vois Daniel qui va y aller. Nos regards se croisent à peine, mais c’est largement suffisant. Il sait ma capacité à délivrer cette passe-là. Je connais la sienne à se saisir du ballon. Mais je vois surtout une détermination incroyable dans ses yeux. Alors je commence à armer mon bras, à placer mes doigts pour ajuster la passe par rapport au mouvement du défenseur et la course de Daniel. »

Davor Dominikovic mesure 2,03 m. Daniel Narcisse à peine 1,89 m. Mais il doit son surnom « Air France », à sa formidable détente verticale, alors estimée à 80 centimètres. Il l’a développée en pratiquant le basket et le saut en longueur dans sa jeunesse. « Je sens que Dominikovic a compris ce qui allait se passer, reprend Guigou. Mais il est un peu surpris et essaie de se rattraper comme il peut. La passe est à la limite de la limite. »

Daniel Narcisse s’est envolé. Dominikovic décolle aussi. A droite, Tonci Valcic est un spectateur ébahi, épaté par ce duel en apesanteur. Dans la cage, Mirko Alilovic semble lui aussi pris au dépourvu. « Le ballon arrive un peu derrière, se souvient Daniel Narcisse, je suis obligé de me retourner. »

Le Réunionnais est effectivement de trois-quarts face au gardien. Il a à peine le temps de dompter le cuir. Alilovic a les bras ballants. Le ballon frôle son oreille droite. « Ce but, sourit Michaël Guigou, dit toute la confiance que nous avions l’un envers l’autre, mais ces cinq dernières minutes résument surtout ce que nous étions alors. Une équipe qui savait manier l’audace, animée d’une grande complicité. Il y a un peu tout dans ce but. La hauteur. L’instant. La précision. L’efficacité. Mais si ce but a autant marqué les esprits, c’est aussi parce qu’il a été inscrit dans le money-time d’une demi-finale olympique… » Le sixième but de Daniel Narcisse, élu meilleur arrière gauche du tournoi, dans cette seule deuxième période. Le plus haut. Jamais, alors, il n’avait autant justifié ce surnom…