Gardienne titulaire de l?équipe de France depuis la blessure d?Amandine Leynaud, Cléopâtre Darleux, vingt-trois ans, est également depuis cet été la gardienne n°1 de Viborg, l?ogre du Danemark triple vainqueur de la Ligue des Champions. Au lendemain de la Golden League disputée avec les Femmes de Défis dans son nouveau pays d?adoption (défaites face au Danemark 27-32 et à la Russie 24-26, victoire devant la Norvège 27-22), et à quelques jours du début de la Ligue des Champions, la double championne de France en titre (avec Metz puis Arvor) se livre avec une étonnante décontraction sur sa nouvelle aventure danoise et sur ses ambitions en bleu-blanc-rouge.
– « Cléopâtre, comment se sont passées vos retrouvailles avec l?équipe de France, deux mois exactement après le douloureux épisode des JO de Londres ?
La semaine a été difficile, un peu éprouvante. L?équipe est fatiguée. On n?a pas retrouvé l?état d?esprit qui nous avait guidées aux Jeux et dans les mois précédents. L?après-JO a été douloureux pour tout le monde. On en a discuté ces derniers jours entre nous. Quelque chose s?est cassé à Londres. Il est temps de passer à autre chose. De se tourner vers ce championnat d?Europe de décembre où l?objectif sera clair : le gagner !
Ce week-end était aussi le premier sans Amandine Leynaud, gravement blessée au genou à la fin du mois d?août. Comment avez-vous vécu la perte de votre binôme ?
J?ai appris la nouvelle sur internet, et je lui ai évidemment envoyé un message tout de suite. Son absence change pas mal de choses. Je ressens davantage de pression, mais je ne parlerais pas d?appréhension. On est dans une situation nouvelle, avec également la retraite internationale de certaines filles. Il faut s?y adapter. Mais j?ai aussi de la nouvelle compagnie ! Gervaise (Pierson) et Laura (Glauser) ont fait un excellent match, dimanche face à la Norvège. C?est une très bonne chose. Je sais que je ne suis pas seule, qu?il y a du monde avec moi. C?est rassurant, d?autant plus qu?on s?entend à merveille toutes les trois.
« Je n?aime pas cette situation, mais elle m?ouvre des possibilités »
La blessure d?Amandine change-t-elle la donne, pour vous personnellement ?
A vrai dire, je ne sais pas trop comment le prendre, ni comment ça va se passer. C?est dur, car quelque part, Amandine est toujours là. Son ombre est là. En même temps, je sais bien que tout le monde va désormais attendre de moi que je sois présente. Je me sais attendue au tournant, tout le monde pense que c?est mon heure. Ce n?est pas évident, j?essaie de ne pas trop y penser. Je n?aime pas cette nouvelle situation, mais je suis bien consciente qu?elle m?ouvre des possibilités. De mon côté, j?ai envie de prouver et de montrer que je peux aussi faire des bons matches sur la durée. Mon début de saison avec Viborg me donne beaucoup de confiance, je sais que je vais progresser.
Les Jeux appartiennent-ils au passé, dans votre esprit ?
Oui, j?ai tourné la page. Cela restera comme une très mauvaise expérience pour moi. Outre la défaite, j?y ai eu peu de temps de jeu, et les semaines qui ont suivi ont été rendues encore plus difficiles par mon départ au Danemark. J?en retiens peu de positif en fait, j?essaie donc de ne plus y penser, tout simplement. Et puis maintenant, j?ai pris mes marques à Viborg. Je ne me sens plus seule, je suis bien intégrée à l?équipe, ma famille est venue? Je me suis remise dans le bain.
Vous sentez-vous déjà comme chez vous, à Viborg ?
Franchement, je pensais que ce serait plus galère. Les retours des joueuses françaises qui sont passées au Danemark sont en général assez négatifs sur la vie quotidienne dans ce pays, donc j?avais un peu peur. Mais finalement, ça se passe très bien. Je joue avec Mouna Chebbah, qui parle français, et puis c?est assez facile de discuter en anglais avec les Norvégiennes, les Suédoises? Je progresse vite. J?ai pris mes marques.
Tout de même, vous qui adorez mitonner des bons petits plats devez quand même souffrir au Danemark !
(Elle rit) C?est vrai que ça n?a pas l?air génial au niveau de la nourriture? Rien à voir avec les poissonneries de Brest, d?ailleurs il n?y a même pas de poissonnerie ici ! Je crois que c?est chez l?épicier asiatique que je trouverai le plus de choses. Mais la vie est chère au Danemark, donc je fais d?abord attention à ça !
Ressentez-vous le fait d?évoluer dans un club de légende ?
Un peu, oui. Il y a des photos partout au club, celles des victoires en Ligue des Champions, des équipes qui sont passées ici. C?est impressionnant, tu vois le poids de l?histoire. En début de saison, il y eu une soirée de gala en présence des anciennes comme Bojana Popovic ou Maja Savic. Grit Jurack vient nous voir à chaque match… Par contre, je ne ressens aucune pression pour ce qui est du jeu et de mon intégration. On m?a très vite donné confiance, je me suis sentie à l?aise tout de suite, même si je ne comprenais rien à ce que disait le coach. Je ne pensais pas que je jouerais autant. Je fais entre 45 et 60 minutes par match, ma coéquipière (la Suédoise Cecilia Grübbström) a peu de temps de jeu. Je suis contente, ça se passe très bien pour le moment, je fais plutôt des bons matches.
« La circulation de balle était tellement rapide que j?avais l?impression de courir dans mon but »
Vous marchez sur les traces de Valérie Nicolas, qui a porté le maillot de Viborg pendant quatre saisons (2003-2007). On vous parle souvent d?elle ?
Oui. Val, c?est « la Française » pour les gens d?ici. Ils pensent que toutes les Françaises sont comme elle ! Je constate qu?elle a laissé une très bonne image. C?est plutôt positif pour moi, ça m?aide. Après, je ne suis pas là pour me comparer à elle, mais pour faire mon bout de chemin.
Vous vous entrainez avec une autre gardienne de légende, Susanne Wilbek, qui gardait les buts du Danemark du temps de sa splendeur dans les années 1990?
Oui, elle est entraîneur des gardiennes et manager du club. J?ai fait peu de séances avec elle jusqu?à présent, mais elle m?a déjà appris des nouveaux trucs, deux nouvelles parades. Par exemple, je n?avais jamais compris l?utilité pour une gardienne de sauter en l?air en écartant les bras. Elle m?a montré qu?occuper un maximum de place pouvait se révéler utile dans certaines situations, comme sur des contre-attaques où la tireuse saute haut et tire souvent en haut. Je n?aurais jamais fait ça de moi-même. Elle a déjà vu certaines choses dans mon jeu que d?autres n?avaient pas vu. A Arvor, j?avais déjà entamé avec Pierre Taillé un travail sur moi-même, un travail de prise en compte de mes possibilités dans le jeu de gardienne. J?ai accentué ce travail ici au Danemark. Je prends encore plus le temps de m?observer.
Viborg est probablement le club le plus professionnel du handball féminin international. Vous le constatez ?
Tout est rodé ici, millimétré. Le siège du club est vraiment énorme, avec pleins de bureaux partout et plusieurs dizaines d?employés. C?est vraiment une grosse structure. Toute la journée, les deux salles de hand sont pleines de jeunes handballeurs et handballeuses. Le club a son propre pôle de formation, il y a un gros travail mené dans ce domaine. Il y a pleins d?équipes de jeunes, mais une seule au niveau senior, tous les moyens sont donc mis sur nous. Et le staff nous gère, nous demande parfois de ne pas trop en faire à l?entraînement, car on joue tous les jours. Jamais on ne m?avait dit ça en France ! Une de mes coéquipières qui ne se sentait pas bien a pu repartir chez elle pendant dix jours. Le fonctionnement est très axé sur l?humain. Cela n?empêche pas que ça travaille beaucoup ! Mais ils savent faire la part des choses, et c?est appréciable. Par contre, même si les matches sont télévisés, je m?attendais à davantage de monde dans les tribunes.
Qu?est-ce qui vous a le plus impressionné ?
Les premiers jours, c?était l?intensité des entraînements. Les relances, les contre-attaques, les transmissions de balles? La circulation de balle était tellement rapide que j?étais perdue, j?avais l?impression de courir dans mon but pour suivre ! Mais maintenant ça y est, j?ai pris le rythme. Ce qui me marque le plus aujourd?hui, c?est le spectacle qu?ils essayent de donner au public, en levant les bras constamment, y compris à l?entraînement. Il y a une part de comédie, de show, ça sonne parfois un peu faux pour moi, mais c?est vraiment leur culture. Sur ce point, je dois encore apprendre à taper davantage dans les mains !
« Pas comme si on repartait de zéro avec les Bleues »
Viborg, c?est tout près de Randers. Croisez-vous souvent Siraba Dembélé ?
On ne s?est pas encore beaucoup vues, à cause du rythme des matches et des entraînements. On habite à seulement quarante minutes l?une de l?autre. On a déjà partagé nos impressions, qui sont souvent les mêmes. On voit aussi les différences entre nos deux clubs. Elle a par exemple quatre heures de Danois par semaine, alors que je n?en ai que deux. Je vais aller en demander davantage, car je trouve que deux heures ne sont pas suffisantes pour apprendre une langue, et je n?ai pas envie de prendre du retard sur Siraba !
Quels sont vos objectifs cette saison avec Viborg ?
On a déjà perdu la Supercoupe contre Randers, et on est éliminé de la Coupe du Danemark. On a une équipe diminuée par l?absence de nos deux gauchères de la base arrière (Jurack retraitée, Kurtovic blessée), mais on veut finir dans les deux premières du championnat pour se qualifier pour la Ligue des Champions. On est un peu limitées dans le jeu, je ne pense pas qu?on ait la meilleure équipe d?Europe. En Ligue des Champions, notre premier objectif sera donc de passer le premier tour de poules, cet automne, pour accéder au Top 8.
Et avec l?équipe de France, vous rêvez donc d?un titre européen en Serbie ?
Cet Euro va arriver vite, et ce n?est pas comme si on repartait de zéro. On doit rebondir collectivement. Des joueuses-clé qui portaient l?équipe à bout de bras sont parties, je pense à Raphaëlle Tervel ou Amélie Goudjo. L?équipe va devoir se gérer autrement, mais dans le jeu, on a déjà les bases. On n?a rien gagné sur la dernière olympiade, je pense qu?il faut se fixer des objectifs plus élevés et partir en Serbie pour gagner. »