En charge de la vidéo de 2005 à 2010 dans le staff de l’équipe de France féminine, Sébastien Gardillou est revenu en janvier dernier au coté d’Olivier Krumbholz pour vivre la grande aventure des Jeux Olympiques. Il est désormais son adjoint et évoque leur collaboration au lendemain de la 1e étape de la Golden League 2016-2017. Entraîneur national à la FFHandball depuis le 1e septembre, il est aussi adjoint sur le PPF féminin.

Raconte-nous ta première fois sur le banc de l’équipe de France ?
Cela change forcément car on ne voit pas le match de la même façon. Autrefois, lorsque j’étais en charge de la vidéo, j’avais plus tendance à vivre le match avec une vision plus large, comme un spectateur. Mais cela ne m’empêchait pas d’avoir des émotions. Il me faut maintenant trouver ma place sur le banc : la Golden League le permet dans un contexte favorable. L’une des préoccupations du week-end était d’apprécier quelles infos, et sous quelle forme, je devais transmettre à Olivier. Ses attentes ne sont pas forcément explicites ; je dois apprendre son fonctionnement pendant le match afin d’anticiper.

Depuis 2010 tu officiais comme n°1 à Metz puis à Nice. Même s’il est prestigieux, comment vis-tu ce rôle d’entraîneur adjoint de l’équipe de France ?
Je crois que j’avais besoin de souffler par rapport à ce rôle d’entraîneur. La gestion sportive ne se limitait pas au match et, en quelque sorte, elle m’éloignait du métier de technicien. Aujourd’hui je peux me focaliser sur mes principaux centres d’intérêts, le jeu et l’entraînement. Le travail pourrait se résumer à comment conserver ce qui marche bien et à ce qui pourrait mieux fonctionner demain.

La position d’adjoint favorise-t-elle le relationnel indispensable avec les joueuses ?
Olivier est le boss de l’équipe, le sélectionneur. C’est lui qui décide mais il aime être en contact avec les joueuses et il apprécie de conserver ce relationnel. J’ai de la proximité avec la plupart des joueuses car j’ai travaillé en club avec elles ou en équipe de France jeunes, ou même en pôles.

Parallèlement à cette mission avec l’équipe de France, tu es l’adjoint d’Éric Baradat ?
C’est franchement une chance de travailler avec Éric qui a engagé, dans le cadre de ses missions fédérales, un travail de fond. Certains ont pu s’inquiéter des dépôts de bilan mais je crois qu’ils relevaient plus d’une problématique sociétale que du Handball féminin. J’ai la vision des problématiques rencontrées et je suis positionné pour faire remonter les infos nécessaires pour ne pas nous couper de la base des clubs. Cette synergie fera que nous aurons des résultats encore meilleurs. Le Handball est le seul sport-co féminin qui a rapporté une médaille des J.O. 2016 et il faut arriver à la faire fructifier. Je suis très optimiste pour l’avenir.

Outre la compétence des joueuses, quelles sont, selon toi, les clefs du succès à Rio ?
Cela fait plus de 20 ans que je baigne dans le Handball féminin et jamais je n’avais ressenti autant d’empathie réciproque et évidente. Il a fallu redonner la confiance aux filles, la confiance en elles et la confiance en les autres. Leur capacité à accepter les erreurs du passé, y compris les nôtres. Nous avons beaucoup échangé avec les filles qui avaient besoin que l’on joue un rôle différent. Nous avons intégré le préparateur mental, Richard Ouvrard, qui a été le ciment de tout cela .

Et concernant le travail technique ?
Des choses mises en place par Alain Portes ont été conservées. Éric Baradat a beaucoup travaillé l’aspect offensif avec peut-être des situations moins clinquantes au niveau visuel. Il fallait gagner du temps. Eric a rajouté le niveau d’exigence nécessaire dans l’exécution des enclenchements et leur réalisation dans le timing du match. Olivier a mis en place une assise défensive avec plus d’opportunisme et de connivence de la part des athlètes qui se sont retrouvées en confiance. Le succès du parcours à Rio est celui d’une équipe mature.

Depuis les tribunes, alors que tu étais en train d’indexer le match, comment as-tu vécu le quart de finale des J.O. face à l’Espagne ?
À l’entame de la 2e période, nous sommes encore à -6 et je ne sais pas pourquoi mais j’étais persuadé que nous passerions ce cap des quarts de finale. Le staff et les joueuses avaient identifié ce moment clef du parcours olympique. Ce quart, je ne me vois par le perdre. Au fur et à mesure, elles sont remontées. Les trois dernières minutes, je suis sorti de ma boite pour rejoindre les autres membres du staff placés en tribune. Je voulais vivre ce moment intensément.

As-tu des regrets sur la finale face à la Russie ?
Nous en avons toujours un peu, bien sûr. Tactiquement et dans l’organisation, les Russes ont bien géré Alexandra Lacrabère. Le porte-avion russe nous a proposé une alternance de joueuses toutes talentueuses dont certaines sont très expérimentées.

Tu entretiens un rapport intime avec la Russie…

Je me suis construit dans cette culture là. J’ai connu ma femme à l’âge de 19 ans. Iana Sarkissian était une internationale junior de l’URSS venue jouer à Limoges. J’adore la Russie et si j’ai grandi en Dordogne, on me dit souvent que j’ai plutôt une âme slave. J’aime leur culture que j’ai appris à la découvrir. À la maison, nous ne partageons pas toujours le même point de vue sur la politique, la sociologie l’éducation. Mais c’est hyper riche. Pour revenir au Handball, Ania est aussi docteur ès Handball, soit le même niveau de qualification que Evgeni Trefilov. J’ai beaucoup appris auprès d’elle et j’ai eu la chance de travailler avec Pierre Mangin, Éric Baradat et bien sûr avec Olivier.

Et avec Evgueni Trefilov…
J’ai toujours voulu entrer en contact avec lui mais très peu de personnes l’approchent. C’est sidérant. Et il ne parle pas du tout l’anglais. Il n’y a pas de volonté de la part du staff russe de communiquer avec les autres nations. Evgueni Trefilov est l’archétype de l’entraîneur de l’URSS. C’est un fils de colonel. Il a été hockeyeur puis il s’est tourné vers le Handball sans pour autant jouer au haut niveau. D’abord adjoint de Vladimir Maximov, il est depuis 2001 l’entraîneur de la Russie et a gagné quatre championnats du monde.

Son attitude sur le banc n’invite pas forcément à l’approcher…
Vivre en Russie forge le caractère car la vie quotidienne est difficile. Trefilov est originaire de Krasnodar qui est le creuset du Handball russe. Grâce à lui, j’ai pu emmener des équipes jeunes à Zvezda. Il y a une dizaine d’années, la FFHandball avait accepté de m’envoyer 15 jours en stage auprès de Trefilov. J’ai passé beaucoup de temps avec lui. Il venait me chercher tous les matins à l’hôtel. Aujourd’hui, nous avons un peu plus qu’une relation professionnelle. Je l’estime beaucoup et je pense qu’il a de l’affection pour moi.

Vous communiquez en russe ?
J’apprends la langue avec ma femme mais j’ai un niveau de langage usuel. Je vis russe. Ma belle-mère vit chez nous et nos enfants sont franco-russes. La langue est difficile avec de nombreuses déclinaisons et Trefilov s’exprime souvent avec des métaphores. Il a d’ailleurs offert à Ania un livre sur les expressions russes du second degré. C’est un homme extraordinaire et super compétent. Il est brillant. Il possède une vraie connaissance du Handball. Il est aujourd’hui apaisé car il a tout gagné.

Au niveau Handball, qu’as-tu appris au contact de l’école russe ?
Beaucoup. J’ai par exemple découvert que la défense 1-5 était utilisée dans le championnat russe. Une vraie surprise car je ne croyais pas que la Russie pouvait évoluer. En équipe nationale, les Russes proposent une défense étagée, une 3-3. Les Scandinaves n’utilisent pas ce type de défense. La Norvège n’en a peut-être pas besoin mais je suis surpris que le Danemark n’essaie pas. Je vois ce pays régresser. Lors de ka première étape de la Golden League qui vient de s’achever, la Russie a joué à sept sur le terrain. Une vraie révolution.