L’entraîneur de Brest Bretagne Handball rejoindra bientôt (le 1er juillet) l’Agence Nationale du Sport (ANS). Après la coupe de France remportée face à Nantes et la Ligue Butagaz Énergie gagnée dimanche face à Metz HB, Laurent Bezeau a une ultime mission, et pas des moindres : conduire son équipe au Final Four de la Ligue des Championnes.
Comment te sens-tu au lendemain d’un tel dénouement qui a vu ton équipe remonter un handicap de sept buts concédés au match aller, à Metz ?
Je ressens de l’apaisement. Je suis aussi fier et content d’avoir gagné ce titre de champion de France qui était l’objectif majeur du club. Ce qui est également certain, c’est que je suis épuisé. Voici de nombreux mois qu’avec le staff, on s’accroche car tout s’enchaine, sans temps de repos. Il faut analyser, travailler sur la vidéo, mener le projet à bien. On ne s’arrête jamais. Cela m’amène à penser que je suis très inquiet pour le métier d’entraîneur.
Depuis 2016, le club n’a cessé de s’approcher inexorablement du titre de champion de France…
La première saison (2017), le club atteint la finale. La saison suivante (2018), nous atteignons encore la finale en nous imposant au match retour à Metz avec une victoire de deux buts mais insuffisants pour combler le retard de 4 buts concédés à l’aller. La troisième année (2019), nous avons vécu une saison cauchemardesque avec une défaite en demi-finale face à l’OGC Nice. Et l’an passé, nous remportons la finale aller mais la crise de la Covid-19, nous empêche de défendre nos chances. Enfin est arrivé ce titre au terme de la cinquième saison, qui concrétise les progrès exponentiels du projet. Je le répète mais ce titre acquis au bout de cinq années, me rend fier.
Comment as-tu géré la lourde défaite de la finale aller à Metz avec, à la sortie, un débours de 7 buts ?
On a morflé, c’est clair. Après la finale de la coupe de France, les choses se sont enchaînées et nous n’avons pas eu le temps de préparer cette finale aller-retour du championnat de France. Metz est un grand club avec la culture de la performance : Manu Mayonnade a su redonner des lettres de noblesse au club et de la confiance à ses joueuses qui ont su nous faire mal. Au match aller, on s’est planté sur leur défense, on a cumulé des pertes de balles inattendues. On a douté et on a finalement fait en sorte de ne pas concéder une trop lourde défaite. Oui, on aurait pu perdre de 10 buts… En seconde période, à Metz, j’ai opté pour jouer à sept, pas pour gagner le match mais pour ralentir le jeu et limiter la casse. Avec un peu plus de réussite aux jets de 7m, on aurait peut-être pu finir à -5.
Comment, avec ton staff, as-tu inversé la tendance après le coup de massue reçu à Metz ?
Dès la fin du match, nous avons remobilisé les filles. Il était hors de question de rester dans les limbes de l’enfer dans lequel Metz venait de nous plonger. Ce n’était pas l’heure de faire le bilan : il fallait retrouver la lumière, récupérer et se préparer à l’exploit. Évidemment, tout a été analysé. Les joueuses étaient au repos le jeudi et j’ai annulé la séance du vendredi pour nous consacrer à la vidéo. Les joueuses ne se sont pas lamentées : elles se sont mises en projet et nous avons tous fait notre introspection puis décidé ensemble de ce qu’il fallait mettre en place pour le retour. Le groupe est fort, solide, doté d’un mental extraordinaire et porté par l’ambition. On ne pouvait vraiment pas finir comme cela. Nous avons repris l’entraînement avec une grande précision et de la rigueur. Nous étions portés par « on va le faire ».
Cette finale de Ligue Butagaz Énergie a-t-elle concouru, selon toi, à la promotion du handball féminin ?
Le Handball féminin a ses détracteurs et pourtant il est très attrayant. Ce n’est pas truc insipide : cela va vite, avec de la tactique, des renversements de situation, peut-être un peu moins de maitrise technique encore que ce dernier point soit discutable. Il existe aussi des projets de clubs extraordinaires. Comme il s’agit de sport féminin, ce handball n’a pas la reconnaissance qu’il mérite. Ce lundi matin, à la Une du Télégramme de Brest, c’est le maintien du stade brestois (football) qui est mis en exergue, et il faut se rendre dans le cahier sports pour y retrouver notre titre. Il ne faut pas lâcher et je sais que Nodjialem Myaro concourt au développement à l’instar de tous les acteurs : joueuses entraîneurs, présidents, dirigeants.
Remporter le titre face au Metz, HB, le plus grand club féminin de l’hexagone, ne donne-t-il pas plus de relief encore à votre performance ?
L’adversité donne du sens au sport. Claude Onesta a souvent dit que c’est ton adversaire qui te fait grandir. On progresse au travers des confrontations avec les adversaires. Gagner des matches, produire du spectacle, partager des émotions, faire vibrer le public, ce sont des éléments qui donnent aussi du relief.
La capacité de réaction de ton équipe et l’énergie qu’elle a dû mettre pour renverser la finale de la Ligue Butagaz Énergie, sont-elles de nature à vous propulser positivement vers la Ligue des Championnes ?
Je ne maitrise pas tous les éléments et je dois d’abord me maitriser (sourire). Au regard de la dynamique qui anime l’équipe, je pense que nous sommes « focus » pour essayer de réussir ce qui est impossible. Sincèrement, je crois qu’on va le faire parce qu’on peut le faire. Le danger, c’est le relâchement. Le niveau du Final 4, c’est encore plus fort et il faudra être en capacité de donner ce coup de rein qui fait franchir la barre au perchiste. J’ai confiance car les filles ont une grande capacité de concentration et de qualité d’échanges qui constituent notre système de performance.
Tu vis sûrement ta période d’entraîneur la plus extraordinaire et pourtant, dans une semaine, tu donneras une nouvelle orientation à ta carrière. C’est une situation paradoxale et pour le moins étonnante, non ?
Tu ne choisis pas toujours la suite… Je n’avais pas décidé d’arrêter mais on l’a décidé pour moi. Je pouvais continuer à entraîner ailleurs mais j’ai déjà sacrifié beaucoup de choses, je pense notamment à ma vie de famille, et je n’ai plus envie de le faire. Je n’ai pas forcément eu beaucoup d’opportunités et si j’avais été contacté par Györ de façon plus précise (j’étais n°2 sur leur short-list), j’aurais peut-être réfléchi. Je vais prendre du recul avec ce métier et je ne sais pas, à date, si j’y retournerai.
Tu as récemment annoncé que tu allais intégrer l’ANS, c’est un sacré virage professionnel et un projet excitant, non ?
Depuis le parcours des Bronzés à Barcelone, le rêve de gamin de participer aux J.O. ressurgit tous les quatre ans. En tant qu’entraîneur ou membre d’un staff, j’ai compris que cela n’était pas pour moi. Cette saison, j’ai entamé un processus, avec la société « trajectoires performances » qui m’a permis d’évaluer mes compétences, mes points de faiblesses, mes savoir-faire. Cela m’a redonné confiance. L’opportunité de capitaliser sur mon expérience m’est donnée. Je vais ainsi participer à une aventure différente. Je débuterai à l’ANS le 1er juillet, en tant que conseiller et expert de la performance auprès des fédérations avec l’objectif d’obtenir, naturellement avec beaucoup d’humilité dans la démarche, le plus de médailles possibles lors des J.O. de Paris 2024.
Tu as débuté cette interview en évoquant la difficulté du métier d’entraîneur, peux-tu développer ?
Oui je suis inquiet pour l’avenir de ce métier. Claude Onesta, Thierry Anti ou encore Patrice Canayer se sont exprimés sur ce métier. L’entraîneur est l’élément moteur du projet sportif du club. Avec la montée du professionnalisme, la diversité des salariés dans les clubs, les entraîneurs sont moins au cœur du projet et je constate qu’ils sont parfois jetés comme des Kleenex. Ce qui se produit dans le football, avec un temps d’avance, finit par arriver aussi chez nous. Je ne parle pas de mon cas personnel car il y a deux ans, par exemple, le club m’a conservé. Ce métier, on l’a choisi et il ne faut pas s’en plaindre mais il existe une forme de précarité avec de plus en plus d’entraîneurs sur le marché alors qu’il n’y a pas pléthore de postes.
Propos recueillis par Hubert Guériau