Notamment adjoint d’Olivier Krumbholz depuis 2016, Sébastien Gardillou a été nommé nouveau sélectionneur de l’équipe de France féminine. Il livre en exclusivité ce qui l’anime au moment d’accéder au poste le plus prestigieux.
Te souviens-tu précisément du moment où est née l’idée de candidater pour cette fonction ?
Je dirais que c’est plutôt un long process. Je suis entré dans une démarche proactive à la sortie du championnat du monde 2023. Sachant qu’Olivier dirigeait ses dernières compétitions, je me suis posé la question de savoir si j’avais l’envie et la capacité de travailler avec quelqu’un d’autre. Quand tu as travaillé aussi longtemps avec quelqu’un, finalement tu n’as plus besoin de trop parler pour se comprendre. Tu te demandes aussi si tu peux recréer cette connivence-là, parce que je parle bien de connivence. C’est à l’issue du dernier Mondial que je me suis dit que je voudrais peut-être reprendre une posture de n°1 que j’avais occupée en LFH.
Quels ont été tes principaux arguments pour convaincre le directeur technique nationale, Pascal Bourgeais et le président fédéral, Philippe Bana ?
En premier lieu, le travail engagé depuis les années 2000 dans le cadre de l’équipe de France A et surtout, depuis mon retour en 2016 au sein de la fédération, dans la structuration de la filière féminine aux côtés d’Éric Baradat. Un travail de coordination existe entre les équipes nationales jeunes et la A. J’ai donc une très bonne connaissance du dispositif et, au-delà, des athlètes qui en sont issues.
La fonction de sélectionneur dépasse le cadre du terrain. Tu es souvent présent à la Maison du handball. Penses-tu que le fait de bien connaître le monde fédéral en plus de la direction technique nationale, a pu compter dans ta nomination ?
Il y a en effet tout ce que je connais de la maison. Je ne vais pas aller à droite et à gauche pour comprendre son fonctionnement. Cela va me permettre de ne pas perdre de temps et de ne pas me disperser. Je vais me concentrer sur ce que j’ai à faire, c’est-à-dire sélectionner et animer l’équipe de France. Aussi organiser au mieux, en termes de logistique et de fonctionnement, le staff pour faire performer l’équipe de France.
Depuis 2016, avec Olivier, vous avez remporté 4 titres et 4 médailles sur les 10 dernières compétitions. Ce bilan est remarquable et forcément la barre est placée haut pour les prochaines échéances…
J’estime en effet que les résultats obtenus par le staff de l’équipe de France avec Olivier en tête de pont depuis 2016, sont exceptionnels. À la sortie des J.O., j’ai pris le temps de me remémorer chacune des circonstances et de constater que depuis 2016, on arrive à maintenir une vraie stabilité de fonctionnement et de résultats, au très haut niveau. C’est exceptionnel. Lorsqu’on regarde ce que nous avons réalisé, j’ai envie de prendre le relais d’Olivier pour entretenir le travail qui a été engagé par ce staff-là.
Dans quelques semaines se dérouleront les matchs de préparation en vue de l’EHF EURO 2024. Quand seras-tu en mesure de présenter l’intégralité de ton staff ?
Dans ma projection, et sous validation bien sûr du directeur technique national, dans tout ce qui relève de la technique, on est dans une stabilité, à hauteur de 80 %. De toute façon, on sera prêts car on s’impose d’être prêts.
Quelles sont les qualités que tu recherches comme qualité chez un adjoint ?
J’ai besoin de quelqu’un qui soit stable émotionnellement et en pleine maîtrise de ce que sont les problématiques du très haut niveau. C’est-à-dire qu’il ait un regard précis à certains moments, diffus à d’autres, de façon à être dans l’alternance du focus. C’est quelqu’un qui va argumenter dans un sens ou dans un autre. Il devra être disponible mentalement et bien organisé. Parce que l’une de mes particularités, c’est parfois de partir dans beaucoup de directions. Je pense que c’est à la fois un avantage et un inconvénient. Je n’aurai plus la même position, donc je n’aurai pas le même comportement, parce qu’il a fallu que je m’adapte.
C’est-à-dire ?
Lorsque tu as la chance d’avoir officié en n°1 dans un club de LFH, et que tu arrives après aux côtés d’Olivier Krumbholz, tu vois ce qu’il te laisse comme place et tu t’adaptes afin de lui apporter quelque chose. Olivier disait qu’il fallait être flexible et malléable. Malléable, c’est péjoratif parfois mais je ne l’ai jamais pris comme ça. En revanche, flexible, oui, et adaptatif à certains moments. En fait, ce qui m’importe c’est de créer un bon duo.
Passer du rôle d’adjoint à celui de n°1 impliquera un changement de posture…
J’ai été n°1 en club et j’ai bien sûr une idée de comment j’ai fonctionné et par conséquent comment je vais désormais fonctionner. Cette nouvelle fonction m’amènera à recentrer mon organisation sur le fait d’être un facilitateur, avec chaque membre du staff et avec les joueuses. Je souhaiterais véritablement qu’on arrive à avoir de la responsabilité et de l’autonomie de fonctionnement. Le rapport à mon staff, le staff par rapport aux joueuses… L’idée est d’être en capacité de rendre tout cela harmonieux. C’est ça qui m’intéresse.
Moins ces dernières années, mais Olivier mettait toujours en avant la solidité défensive de son équipe.
Quelle sera ta philosophie de jeu ?
Ce fil rouge sera maintenu : tu gagnes une bataille avec l’attaque mais tu gagnes une compétition avec la défense. C’est très clair. L’héritage d’Olivier, c’est cette intransigeance défensive. Construire autour d’une défense forte, des gardiennes de but qui sont sécurisées et de la contre-attaque, ça va dans le sens des joueuses qui ont été identifiées dans la filière, sur leur capacité à se projeter rapidement. C’est intangible.
Quels seront tes grands principes ?
Nous allons continuer à travailler sur le jeu d’attaque dans la mobilité, la continuité, la capacité à surprendre. En interne, nous avons essayé de rendre le jeu le plus simple possible pour les athlètes et plus compliqué à lire pour les adversaires. C’est un vrai paradoxe d’une certaine façon parce que plus le jeu est simple, plus la maîtrise technique doit être grande. Et je pense qu’on est justement aujourd’hui sur ce point de balance-là. La relation avec Éric Baradat dans le travail de la filière, est fondamentale. Notre niveau d’exigence est toujours haut, avec un focus particulier qui doit nous nous permettre, je l’espère, de rendre les joueuses encore meilleures en termes de maîtrise technique. Ce qui fera qu’on pourra encore simplifier le jeu et travailler sur les déclinaisons. Surprendre l’adversaire, c’est l’amener à penser qu’on va faire quelque chose et apporter une variante.
Hormis Béatrice Edwige qui a annoncé la fin de sa carrière internationale, toutes les joueuses qui postulaient pour les J.O. sont disponibles. Dès lors où débute l’olympiade vers 2028, quelle sera ta stratégie pour lancer le nouveau cycle olympique ?
Déjà, il faut prendre attache auprès des joueuses afin de savoir où on en est dans le groupe France. Restreindre la liste pour les Jeux olympiques a été quelque chose de compliqué et aujourd’hui, effectivement, on va travailler avec un groupe élargi. Dans la perspective des Jeux de Los Angeles, il est inenvisageable de ne pas avoir une planification, une projection. Elle sera ce qu’elle sera. Je pense qu’aujourd’hui le staff de l’équipe de France, comme il a su le faire avant, peut-être un peu plus dans cette période-là, devra se déplacer dans les clubs, prendre la pleine mesure du championnat de France et de ses actrices, aussi de se déplacer à l’étranger pour voir le contexte d’évolution des filles au quotidien. Parce que ce n’est pas dans le laps de temps des rassemblements de l’équipe de France que l’on arrive à faire des modifications profondes. On est tous d’accord sur ça. Qui est capable de s’engager dans un projet pluriannuel ? Qui en a la force et l’envie ? Ça, il faut qu’on l’identifie. Et comment on va mobiliser les ressources pour que ce projet-là soit le plus viable possible tout en performant au long cours ? Dire, OK, c’est Los Angeles 2028, parfait. Néanmoins, on a un standing et on doit s’y tenir. L’équipe de France est performante et doit le rester. Et s’il faut jouer la Norvège et d’autres nations qui sont des nations performantes, c’est pour gagner. C’est pour gagner !
Quels sont les coachs qui t’ont inspiré ?
J‘y avais réfléchi car je pensais bien que cette question me serait posée. J’ai appris beaucoup déjà des gens dont j’ai eu la chance de croiser le chemin, en premier lieu avec Robert Demars. J’ai aussi appris avec Pierre Mangin, j’apprends encore et toujours dans les échanges avec Éric Baradat. J’ai eu la chance de côtoyer des gens exceptionnels dans la pratique du handball et du handball féminin en particulier. J’ai beaucoup échangé avec Torir Hergeirsson, avec Evgueni Trefilov et j’ai eu la chance de travailler avec Olivier pendant des années. Je ne dis pas que j’ai réussi à capitaliser, mais déjà par la redondance des échanges et par les questions que ça a généré chez moi, j’en suis riche aujourd’hui. Le travail de Daniel Costantini dans les années 90 (86 à 92) puis après, m’a fait aimer le handball en général et le handball de haut niveau en particulier. Donc, pouvoir discuter avec ces gens-là, leur poser des questions, avoir un avis éclairé, je suis chanceux. J’ai travaillé avec Olivier et je lui dois beaucoup. Je lui dois d’avoir accédé au haut niveau et d’avoir son écoute. Et ça déjà, j’en suis ravi, parce que les résultats de l’équipe de France sont liés à sa compétence. Prenons l’ensemble des équipes dans le temps, depuis 1998 à aujourd’hui, le point commun, c’est lui et la performance. Donc, chapeau.
Avec Olivier qui se dirige vers la retraite, comment la relation va-t-elle évoluer ?
Alors, on n’a pas discuté, et je pense qu’on n’en discutera pas, parce que pour moi, c’est implicite. Olivier, je l’ai trois fois par jour, encore aujourd’hui. Je sais que si j’ai besoin, je peux l’appeler et s’il a quelque chose à me dire, il m’appellera, il me dira ce qu’il a observé. Voilà, comme un ami, on continuera à échanger. Et ça serait une erreur de ne pas bénéficier de la discussion avec un spécialiste. (NDLR : au cœur de cette réponse, Sébastien est interrompu par un appel téléphonique d’Olivier !).