À quelques jours des Jeux olympiques de Paris 2024, le président de la FFHandball, Philippe Bana, est l’invité de l’entretien du lundi.

Pouvais-tu imaginer, lorsque tu as démarré ton mandat en novembre 2020, en plein cœur du deuxième confinement, que le nombre de licenciés flirterait avec la barre des 600 000 quatre années plus tard ?

Non, évidemment que non. C’était une époque d’angoisses. On y a réagi en étant solidaires avec nos clubs. C’est un vrai miracle historique d’avoir atteint ce nombre de 591 324 licences alors que nous en avions perdu quelque 250 000 avec le Covid. Il nous a fallu inventer des plans de reprise, miser sur la gratuité des licences, des actions avec les comités et ligues qui ont débouché sur un développement incroyable et presque miraculeux, oui. Nous avons eu le courage à la FFHandball de nous mettre en déficit de 5 millions d’euros pour les accompagner. Et ce courage, cette solidarité, ont porté leurs fruits, au-delà de ce que nous imaginions.

Tu as déjà prononcé ce mot, « solidarité », à deux reprises…

Parce qu’il résume l’état d’esprit qui nous a guidés. Nous avons par exemple créé Hand’Solidaire, une Fondation avec Marie Georges Buffet pour encourager les actions caritatives, développer ou fabriquer des projets dans les territoires comme à l’international. Bien sûr, le fait de gagner avec nos équipes de France a facilité ce chemin, c’était une lueur dans l’obscurité, tout comme l’espoir suscité par les Jeux olympiques à domicile d’ailleurs.

Quels souvenirs gardes-tu, justement, de cette période Covid ?

C’était un moment où nous n’avions plus de lien. Les clubs cherchaient comment survivre. Nous nous sommes battus contre cette fragmentation par le contact, les protocoles, les aides. On était toujours à la recherche d’un espoir pour jouer dehors, fabriquer des petits terrains extérieurs. Je me souviens de tous ces moments de grand vide, comme lors du TQO de Montpellier, une joie immense teintée de cette tristesse due à l’absence de spectateurs.

Cette mandature a été d’une richesse incroyable, et pas seulement au niveau des résultats des équipes de France. De quels projets menés à leur terme es-tu le plus fier ?

On vient de l’évoquer, mais je suis fier de cette solidarité. Fier que les équipes de France l’aient accompagnée en gagnant. Fier d’avoir stabilisé la Fédération et développé la marque handball. Fier d’avoir sécurisé le modèle économique de notre sport. Fier d’avoir assuré ce lien avec clubs et territoires. Tout ça avec une méthode que nous avions prônée et qui s’est révélée un axe essentiel de nos réussites et que l’on peut résumer ainsi : jouons collectif. Ces quatre années de proximité avec les acteurs sont essentielles. Notre modèle économique était en grande difficulté. Nous sommes en passe de re-signer l’ensemble des dispositifs économiques. Nous avons évité le chaos.

Quels ont été les axes forts pour justement éviter ce chaos ?

Simplement, nous avons mieux communiqué le handball. Nous avions toujours ce reproche d’un sport sans véritable vitrine. Nous avons structuré différemment certains services en créant notamment une direction du marketing, une direction de l’évènementiel et une direction de la communication. Trois fonctions supports essentielles dans l’évolution de la Fédération. Nous avons ensuite poursuivi le développement de nos pratiques avec le BeachHandball, le Hand à 4, le BabyHand, le HandFit… 25 000 gamins de 3 à 5 ans pratiquent du BabyHand aujourd’hui, ce n’est pas rien. Nous avons aussi pris en charge le ParaHand, qui porte cette politique d’ouverture, d’inclusion et de solidarité en proposant plusieurs offres de pratique à destination de toutes les personnes en situation de handicap, via le HandFauteuil, le HandAdapté et le HandSourd.

D’autres projets te tiennent-ils à cœur ?

Nous avons été assez exemplaires dans la lutte contre toutes les formes de violence en créant une plateforme de signalement et une campagne de communication, portée par notre équipe de France, pour aider à libérer la parole. Nous sommes également relativement en avance sur l’éthique. Nous avons toujours cherché à simplifier la vie des clubs. En fabriquant de plus en plus vite des licences, en nous plaçant à côté des dirigeants. Toujours ce même facteur de proximité qui me marque vraiment. Nous avons également investi le domaine de l’apprentissage en créant notamment un centre de formation des apprentis. En fait, on a fait tout ce que l’on a dit, tout ce qui était écrit dans notre programme. Pas un seul autre sport n’avait créé une plateforme comme HandballTV. Elle compte 20 000 abonnés payants et 80 000 inscrits, grâce à l’association des ligues professionnelles (LFH et LNH) et du diffuseur beIN SPORTS. La plateforme d’appels à projets des clubs et aussi une innovation que nous allons faire grossir. Gagner et redistribuer.

La fondation Hand’Solidaire semble également avoir trouvé son rythme de croisière…

Oui, largement encouragée par Marie-George Buffet, la présidente du comité exécutif, qui effectue un travail remarquable et dont je veux saluer l’engagement à nos côtés. 2 euros sont reversés à la Fondation par billet vendu pour les matches des équipes de France. Le fonds d’aide au handball amateur fonctionne lui aussi. Et puis il y a cet autre outil au service de la solidarité : Havoba, un programme dans le cadre de l’accord de partenariat signé entre l’Agence française de développement (AFD) et les fédérations de handball, de volley-ball et de basket-ball lors du dernier sommet Afrique-France. Il vise à contribuer au développement de l’impact social de ces trois disciplines sur le continent africain.

Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques dit toujours que la FFHandball a un temps d’avance sur les autres Fédérations. Comment s’exprime ce temps d’avance ?

Nous n’attendons pas que les sujets sociaux nous percutent, nous les anticipons. Il y a chez nous, cette idée, que nos dirigeants sont obsédés par tous les dangers. Comme pour la pratique à haut niveau, nous ne souhaitons pas, nous ne souhaitons plus retourner à la case départ. Donc, nous voulons calmer nos peurs en réglant les problèmes des gens, en anticipant les dangers.

Elle fait aussi allusion à la féminisation de la discipline.

Depuis 1999, le handball en France marche sur ses deux jambes. Pour les dirigeants, aller chercher des femmes était une forme d’avenir du handball. On y est arrivé par des formations, l’encouragement de la pratique mixte. 250 000 de nos licenciés ont moins de 12 ans, dans des pratiques paritaires. On a travaillé les conventions avec tous les acteurs éducatifs. Et puis, le fait de continuer notre soutien au hand féminin de haut niveau, a facilité le chemin vers la parité.

D’où l’intégration de la D2F à la LFH ? 

Cette démarche est symptomatique de l’Olympiade. Au fin fond du Covid, en janvier 2021, alors que les clubs s’étouffent, le bureau directeur décide de demander à la ministre que la D2 devienne professionnelle et puisse jouer. Nous sommes allés chercher les gens, nous les avons accompagnés, nous avons payé les coûts médicaux. Ça nous paraissait parfaitement naturel. Juste stabiliser un monde pour elles.

La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France vous oblige à un certain nombre de mesures. Dans le développement de la pratique pour le plus grand nombre, la rénovation de la gouvernance ou encore l’encouragement d’un modèle économique vertueux notamment. Vous reste-t-il de gros chantiers à mener ?

Intellectuellement et légalement, nous avons bâti ces chantiers, nous les avons même étayés sur ce qui relève de la violence, la gouvernance, avant même la promulgation de la loi. Nous pourrions nous dire que nous avons fait le boulot ; mais cela ne nous suffit pas. Nous sommes toujours dans l’anticipation. Nous cherchons à féminiser encore plus les territoires. A travailler encore plus pour ouvrir les gymnases scolaires. Face aux problèmes d’éthique, de violence, nous avons bâti cette plate-forme de signalement. Il reste du travail sur son développement. Je suis déjà dans le groupe du Comité olympique qui prépare la loi héritage des Jeux de Paris 2024 sur le renforcement de la vie démocratique dans les Fédérations, la protection des pratiquants et pratiquantes et l’indépendance des comités d’éthique. Nous sommes vraiment en pointe là-dessus.

Les résultats des équipes de France, et pas seulement les deux titres olympiques de Tokyo, ont largement impacté la pratique sportive et plus globalement dynamisé la FFHandball…

Oui, parce qu’ils représentent une lumière au bout du tunnel du Covid. Cet investissement majeur de 10 millions d’euros dans les équipes de France permet de rendre fier les gens. Et ces résultats permettent de stabiliser les contrats TV. 6 millions de téléspectateurs ont assisté aux titres de décembre et de janvier. Ces équipes, de surcroît, ont gardé les valeurs de base, la proximité, le contact, le courage. En mars 2021, au fin fond du Covid, quand l’équipe de France masculine affrontait la Croatie à Montpellier, celui qui imaginait un tel parcours était un rêveur.

Pourquoi avoir privilégié les rencontres à domicile pour les équipes de France ?

Je l’ai évoqué, on a fabriqué une direction événementielle, et une direction communication avec lesquelles on n’a pas eu peur de prendre des initiatives ; mais surtout nous avons concentré nos équipes de France vers nos territoires, nos clubs, notre public. Nous avons offert quatorze matches à nos clubs, en France ; moins d’avions, moins de fatigue, plus de proximité avec nos licenciés. On a créé une marque handball avec un même look, une visualisation commune. Nous avons aussi eu le courage de nous relancer après l’Euro 2018 féminin en obtenant l’organisation du Mondial 2029 avec l’Allemagne. Les gens ont d’ailleurs eu plaisir à nous revoir. Nous allons encore discuter de l’Euro 2032, d’un Mondial junior filles en 2026. Et puis il y aura ce formidable IHF BeachHandball Showcase à la fin du mois à la MDH, l’unique évènement gratuit organisé pendant la période olympique.

À propos de beach, il semble que l’investissement de la FFHandball a mis du temps à se mettre en place ?

Nous avions depuis 20 ans cette espèce de dichotomie, une question qui nous a longtemps divisés. Le hand sur sable devait-il être uniquement de loisir ou alors aller vers le haut niveau ? Nous avons mis beaucoup de temps à répondre à cette question. Désormais on fait les deux. Je pensais que nous avions deux olympiades de retard sur les meilleures nations mondiales ; mais nous avons fabriqué un parcours de performance pour les jeunes qui commence à porter ses fruits. Nous rattrapons le retard à grande vitesse. La semaine passée, un membre du staff de l’équipe de France U16, la première équipe à être montée sur un podium international, est passé me voir à la MDH pour me remettre la médaille d’argent. Il était très ému. Comme un devoir accompli. Une première.

La Halle de Beach à la MDH sera un outil supplémentaire. Comment vis-tu, d’ailleurs, le développement de cette Maison du Handball ?

Elle a longtemps été en difficulté financière. Nous avions un double objectif en changeant d’opérateur avec Sodexo Live en janvier dernier : faire en sorte qu’elle ne soit plus en déficit mais à l’équilibre ; et en faire un centre de séminaires, de ressources, d’événements, et on espère un centre de profits. 2500 personnes y sont attendues chaque jour pendant les JO. Nous allons continuer à faire fructifier, à développer l’héritage. La MDH est un endroit où il fait bon vivre ou nos clubs, nos entreprises viennent. Nous réfléchissons également à construire un grand pôle public de santé.

Tout comme le Beach, le Hand à 4 a lui aussi le vent en poupe…

Depuis 2022, la pratique officielle au CAPEPS (concours des enseignants) est le hand à 4. Cette Olympiade est vraiment celle de la diversification. Elle avait été votée en 2018 ou 2019, mais elle n’était pas entrée dans les pratiques quotidiennes. A coups de projets, d’événements, les clubs, les territoires d’une manière plus générales, se sont emparés de cette diversification. Le club a changé. Il est devenu plus large. Il peut proposer du HandFit ou participer au Challenge inclusif de HandFauteuil.

Le club est également de plus en plus concerné par la mise en place d’innovations sociales en matière d’alimentation, de mobilité, d’énergie, d’habitat, d’environnement, de santé…

A chaque fois qu’il peut être présent, innover sur le champ sociétal, il sait se démarquer. Le handball a toujours su intégrer ses préoccupations sociales et environnementales à ses activités commerciales et à ses relations avec les différentes parties prenantes. Si on reprend l’idée de la solidarité, j’ai en tête cet accueil magnifique de l’équipe d’Ukraine au Havre en fin de période Covid. Il y a 1000 façons d’être présent sur ces champs-là. Nous ne lâcherons jamais. Nous avons été fabriqués par des éducateurs, des profs d’EPS, et ces valeurs qu’ils nous ont inculquées sont les nôtres. Les gens pensent que nous sommes une vitrine alors que notre vrai métier est une arrière-boutique sociale pour nos citoyens.

As-tu hâte que ces Jeux démarrent ?

Évidemment. Nous les avons anticipés avec cette idée de les vivre vraiment, avant, pendant et après. Avant, à Lille et à Paris, avec des animations périphériques. Nous avons d’ailleurs retrouvé l’ambiance de 2017 au travers l’incroyable tournée dans toute la France pour le grand public avec 40.000 enfants qui seront venus. A Lille, nous avons organisé des événements mémorables. Nous avons aussi fabriqué un Club 2024 à la Maison du Handball, invité nos 2400 clubs à assister aux Jeux. On a bien anticipé les Jeux dès 2020, et fabriqué l’après en donnant par exemple 200 terrains de hand aux territoires. Il y aura un beau handball d’après JO.

L‘encadrement des équipes de France A va-t-il évoluer post-J.O. ?

Guillaume Gille va bien entendu poursuivre son engagement auprès de l’équipe de France masculine. Nous nous projetons ensemble jusqu’au Mondial 2029, il est un fils de la famille. Quant à l’équipe de France féminine dirigée par Olivier Krumbholz, la nouvelle évolution du staff sera annoncée à l’automne, calmement, après les Jeux de Paris 2024. Il faut savoir prendre le temps…

Y a-t-il, peut-être, des dossiers qui n’ont pas abouti en cours d’Olympiade, ou que tu aurais, avec le recul, aimé traiter de manière différente ?

Le paradoxe, c’est que nous nous sommes retrouvés devant une copie que nous avions écrite, et nous nous sommes dit : merde, on a fait tout ce que nous avions prévu. Alors nous avons anticipé ce que nous aurions pu écrire de plus. Dans l’accompagnement des nouveaux dirigeants, la simplification de nos méthodes, la digitalisation et l’innovation. Nous n’avions pas imaginé ce Hall of Fame. Nous l’avons fait. Nous n’avions pas imaginé la tournée des territoires et des clubs. Nous l’avons faîte. Nous savons que tous les jours, nous devons faire encore plus et mieux. On a cette responsabilité pour nos clubs.

D’une manière plus générale, ce mandat fut-il conforme à ce que tu imaginais lorsque tu t’es lancé ?

Oui. J’avais espoir, parce que nous vivons une période extrêmement dure, que ce que nous imaginions puisse se réaliser. Je ressens une vraie fierté. Plus que de la fierté, le sentiment d’avoir été utile ; j’ai l’impression qu’il y a une espèce d’âge d’or du handball comme un espace bleu entre les nuages.

Être utile à la présidence de l’Union des Fédérations de Sports Professionnels est aussi l’un de tes souhaits ?

Celà a été une demande de mes collègues, l’Union regroupe les fédérations françaises de basket-ball, cyclisme, football, handball, hockey-sur-glace, rugby et volley, des fédérations qui souhaitent travailler conjointement aux enjeux de la solidarité entre le sport professionnel et le sport amateur. Son action en faveur de la défense, à tous les niveaux, d’une certaine vision du sport professionnel, dont la légitimité et la réussite s’appuient sur des principes de solidarité, d’inclusion et de diversité, me paraît essentielle.

Un mot, pour finir, sur la relation entre la FFHandball et la LNH, bien plus naturelle que dans d’autres sports…

Tout, oui, s’est toujours passé naturellement avec David Tebib. Nous échangeons chaque semaine sur les enjeux communs à nos structures, nous cherchons les moyens de faire avancer le monde professionnel, et il y a une proximité incroyable entre nos deux mondes qui ne font qu’un, finalement. Cette vision commune nous permet d’avancer sereinement, là où des tensions peuvent apparaître dans d’autres sports.