Championne du monde en 2003 à Zagreb, internationale à 183 reprises (763 buts) entre 1995 et 2004, la Réunionnaise joue toujours à Saint-Denis, à 47 ans. Elle figure aussi dans l’encadrement du Pôle espoir depuis la saison passée. Nous l’avons rencontrée la semaine passée lors des Interpôles de Bourg-de-Péage.
On t’a aperçue la semaine dernière à Bourg-de-Péage, lors des Interpôles féminins. Es-tu impliquée dans la formation réunionnaise ?
A Bourg-de-Péage, j’étais surtout là comme parent, afin d’accompagner ma fille aînée, Jeanne, qui s’est malheureusement blessée d’ailleurs. Dans un deuxième temps, je voulais voir comme notre équipe Réunion/Mayotte allait se comporter. J’ai intégré le Pôle espoir l’année dernière, sur les programmes d’accession, en collaboration avec Stéphanie Lambert, et j’avais envie de me retrouver en situation de concurrence.
Comment t’es-tu retrouvée au Pôle ?
Un peu par hasard. C’est un concours de circonstances en fait. Cathy Palma et Fred Valliamé cherchaient des encadrants pour les Intercomités. Ils ont suggéré mon nom. Ma fille y participait, j’ai saisi l’occasion et ce rôle d’encadrant m’a plu. J’ai passé mon brevet d’état, mais pas encore les titres.
Es-tu toujours impliquée au HBF Saint-Denis ?
Oui, je suis la présidente de ce club, et j’entraîne aussi une équipe de jeunes, ainsi qu’une section au Collège Bourbon.
Nous avons également trouvé quelques feuilles de match qui mentionnaient ton nom et ton prénom…
Je joue encore un peu, oui, mais je pense que je vais raccrocher l’année prochaine. J’ai trop mal après les entraînements ou les rencontres. Je joue parce que la passion est intacte, mais aussi pour le simple plaisir d’évoluer avec ma fille Jeanne. C’est elle qui me donne la motivation et me force à rester en forme.
Jeanne et Ambre, tes deux filles, figurent donc dans le Pôle espoir. Les as-tu encouragées ?
Jamais. Au contraire. Bien sûr, lorsque j’étais encore sur le terrain, elles étaient, elles, en poussette dans le gymnase, et elles ont été baignées par l’ambiance. Mais avec Laurent, mon mari, nous les avons laissées faire leur choix. Elles ont joué au tennis, au rugby, elles ont fait de la danse classique, de l’athlétisme.
Mais elles ont fini par venir au handball…
C’est leur choix. Je ne les ai pas poussées, parce que je savais que j’allais souffrir, c’était sans doute pour me protéger. Jeanne est revenue des Interpôles avec une rupture des ligaments croisés. C’est la deuxième fois, et elle n’a pas encore dix-huit ans.
Pourquoi dis-tu pour te protéger ?
Il y a plus de densité dans le handball aujourd’hui, on est loin, à La Réunion, de la Métropole, et j’ai eu un peu de mal à me jauger par rapport, justement, à ce qui se fait en Métropole. J’avais peur qu’elles souffrent comme j’ai pu souffrir.
A cause de l’éloignement ?
Non, juste le côté humain, le regard que les autres pourraient porter sur elles.
Craignais-tu qu’elles ne soient considérées que comme les filles de Leila Lejeune ?
Ce n’est pas ça, non. Elles ne se sont réellement intéressées à mon parcours qu’il y cinq ou six ans. Jeanne l’a intégré, et Ambre s’en fout complètement. Elles savent que j’ai vécu des choses qui m’ont épanouie, elles sont fières, sans doute. Mais nous les protégeons pour qu’aucun amalgame ne trouble leur chemin et qu’elles n’aient pas à supporter une pression supplémentaire. D’ailleurs, à la maison, on ne discute pas trop de handball. Elles se construisent par elles mêmes, il n’y a aucune raison d’en rajouter.
Tu ne fais aucune projection sur leur carrière ?
Ça n’a aucun intérêt. J’ai vécu ces choses-là, je les connais, je souhaite simplement qu’elles construisent et suivent leur chemin à elles. Pour moi, ce sont deux très chouettes petites filles qui aiment le handball et qui ont leur caractère.
La dernières Réunionnaise médaillée avec l’équipe de France est Angélique Spincer, en 2011, et à part Camille Plante à Celles-sur-Belle, Elisa Techer à Brest ou Emilie Despiau à Saint-Maur, très peu rayonnent en Ligue Butagaz Énergie. Comment l’expliques-tu ?
Il y a d’abord beaucoup plus de densité en Métropole qu’à l’époque où nous jouions, nous, Sonia (Cendier), Nath (Selambarom) ou Steph (Lambert). A cette époque, justement, les Métropolitaines avaient un petit peu peur de nous, nous étions des filles physiques, « qui mettaient des coups », nous jouions dur, mais elles ont cette dureté aujourd’hui. Elles sont même plus physiques, plus fortes que nous, tout s’est réévalué.
Y a-t-il un problème de formation ?
Non, la formation est meilleure aujourd’hui qu’à mon époque. Mais l’approche de la compétition le week-end ne permet pas d’évoluer comme nous le souhaiterions. Ça dépend des années, mais on n’évolue pas au niveau N1 ou N2. Mélissa Agathe au Tampon fait bien monter le niveau, mais ce n’est pas suffisant.
A Bourg-de-Péage, Réunion/Mayotte a terminé à la 12e place sur quatorze équipes…
Les filles n’ont pas l’habitude de ces matches à couteaux tirés. Ce n’est pas le même niveau, le même engagement, nos adversaires savent mieux gérer les temps forts comme les temps faibles, et cette différence dans les rapports de force se ressent. J’ai vu des joueuses qui sont plus dans le rythme, un jeu parfois réglé comme une horloge suisse. Des joueuses plus malignes, avec plus de vice, plus d’automatismes, capables de réagir idéalement à la situation qui se présente. Je suis revenue à La Réunion il y a dix-sept ans, et j’ai toujours vu depuis les mêmes choses. Il y a même des « spéciales » que je passe encore à 47 ans…
Certaines ont-elles le profil pour intégrer, à terme, les équipes de France jeunes ?
Quelques-unes ont pour objectif de devenir sportives de haut niveau. Elles ont le projet et c’est déjà un excellent point de départ. Jeanne devait participer à un deuxième stage national il y a deux ans, mais elle s’est blessée. On accompagne ces filles, on leur donne les bons outils pour progresser. Lorsque je suis arrivée en Métropole, je ne jouais pas. Je m’entraînais, j’étais sur le banc, mais on m’a aidé à grandir, aidé à comprendre, et j’ai progressé. Le chemin est difficile, mais il existe.
Qu’est-ce qui est le plus difficile pour une jeune joueuse réunionnaise ?
De se construire une identité. Il y a toute une réflexion à avoir par rapport à l’activité. Et puis il faut savoir durer. Te remettre en question. Sans cesse.
Qu’as-tu ressenti lorsque l’équipe de France, vingt ans après le titre de Zagreb, s’est imposée face à la Norvège ?
Je me suis dit que comme l’on n’avait rien organisé pour célébrer cet anniversaire, nos petites soeurs nous avaient fait un joli cadeau. C’était génial de suivre leur parcours. Au mondial et aux Jeux olympiques aussi.
Petites soeurs ?
Oui, c’est la grande famille du handball, non ? Qui sait si sans notre parcours à Lillehammer, à Zagreb, le handball féminin aurait cette trajectoire aujourd’hui ? Je suis fière d’avoir contribué à ce que le handball féminin occupe une place légitime dans notre société française. Fière que de tous les sports collectifs féminins, le handball soit celui qui fonctionne le mieux. Et avec le potentiel, la marge de progression de cette équipe, je sais qu’elle a encore de beaux jours devant elle.
Qu’as-tu le plus apprécié dans cette équipe de France ?
Techniquement on a rattrapé et même dépassé par certains côtés les équipes nordiques. Estelle (Nze Minko) a pris une autre dimension, Orlane (Kanor) trouvé une régularité impressionnante dans ses tirs à neuf mètres et ça change beaucoup de choses. Chloé (Valentini) est pour moi la meilleure joueuse du monde actuellement, la plus complète. Sa capacité à se saisir du ballon à une main en pleine course est assez bluffante.
Gardes-tu le lien avec certaines des championnes du monde ?
Nous avons un groupe WhatsApp, on se souhaite nos anniversaires. Certaines filles se voient souvent. Nodji (Nodjialem Myaro) est très active, Ruffy (Raphaëlle Tervel) et Alex (Hector) étaient à Bourg-de-Péage. Aux Interligues de Celles-sur-Belle, nous nous étions réunies avec Véro (Pecqueux-Rolland), Nodji, Isa (Wendling). Quand je fais 10 000 kilomètres, elles peuvent faire quelques efforts, non ? Nous avons partagé des moments vraiment sympas, et cultivé un peu nostalgie aussi. Sinon, Steph Cano est venue à La Réunion, Ruffy et Alex aussi.
Tu as aussi partagé du temps avec Olivier Krumbholz…
Et c’était très sympa. Olivier a changé. On dit qu’avec l’âge on devient plus sage, c’est ça ?
Amandine Leynaud, que tu as croisé à Bourg-de-Péage, était touchée de te rencontrer.
Je l’étais aussi. Je pense que nous partageons certaines valeurs et notamment l’humilité. C’est dommage qu’il n’existe pas de rassemblements inter-générationnels d’ailleurs. Ça se fait ailleurs et ça facilite la transmission. On croise certaines jeunes joueuses qui ne connaissent ni notre histoire, ni le parcours de chaque joueuse. Se rencontrer, apprendre à se connaître, c’est toujours enrichissant.
Avec Nodjialem Myaro et Stéphanie Ludwig, vous aviez vécu de belles émotions en devenant championnes de France de N1 avec le club de Saint-Pierre. Comment ce projet s’était-il concrétisé ?
C’était sur un coup de tête, un « trip ». Certainement que nous avions envie passer du temps ensemble, de prolonger, d’une certaine manière, notre aventure commune. Il y avait le handball, mais aussi un projet professionnel derrière, sans lequel elles ne seraient jamais venues. Même si je sais qu’elles aiment La Réunion