Vendredi à Caen, elle disputera probablement sa sixième sélection avec le maillot de l’équipe de France sur ses épaules. Un moment particulier puisqu’elle affrontera le Sénégal, l’équipe dont elle a défendu les couleurs pendant cinq ans, une sélection qui abrite quelques-unes de ses meilleures copines.
Tu as porté les couleurs du Sénégal pendant cinq ans. Ce match est forcément spécial pour toi…
Bien sûr. Et je l’aborde avec énormément de plaisir. Déjà, parvenir à organiser une rencontre entre la France et le Sénégal est quelque chose de très spécial. Lorsque je portais les couleurs sénégalaises, je rêvais de jouer contre l’équipe de France. Quelque part, ce rêve se réalise dans le sens inverse. Ça va être un super moment à vivre.
Appréhendes-tu particulièrement le moment des hymnes ?
Non, pas du tout. Mes origines sont maliennes, pas sénégalaises. J’ai réussi à chanter l’hymne du Sénégal, une nation qui m’a accueillie à bras ouvert lorsque j’ai voulu donner un élan à ma carrière internationale, mais il ne résonne pas de la même manière. Cela dit, j’ai beaucoup de respect pour ce pays, cet hymne.
Nina Kanto n’avait pas pu retenir ses larmes lorsque l’équipe de France avait affronté le Cameroun au Mondial 2005 à Saint-Pétersbourg…
Je le comprends d’autant plus que ses origines sont camerounaises et que l’émotion qu’elle a dû ressentir à cet instant tellement particulier l’a évidemment troublée.
As-tu néanmoins vécu quelques moments forts, intenses avec cette sélection ?
Plusieurs, oui. La disqualification à la veille de la finale de la CAN 2016 à Luanda a été un moment vraiment difficile à vivre et très marquant.* Celle de Brazzaville, en revanche, figure parmi les meilleurs souvenirs. Elle nous donnait le droit de participer, pour la première fois dans l’histoire du pays, à un Championnat du monde, celui du Japon. Je me souviens d’un sentiment de fierté que l’on avait partagé avec toutes les filles. Ce que nous avons écrit au Congo, personne ne l’avait écrit auparavant. Je crois que le continent africain a compris ce jour-là que le Sénégal savait aussi bien jouer au handball.
Comment juges-tu, justement, l’évolution du handball au Sénégal ?
C’est compliqué. Il y a beaucoup de joueuses bi-nationales, de naturalisations, et c’est donc une politique à court terme. Il n’y a plus beaucoup de filles comme Hadja Cissé ou Amina Sankharé qui s’investissaient sans compter dans la sélection. Il y a bien sûr un effort fourni sur la formation, des centres se sont créés, mais il y a un fossé entre le niveau produit au Sénégal et celui que l’on retrouve sur le circuit international. Ces jeunes filles, si elles restent au pays, elles ne progresseront pas suffisamment pour être préférées aux bi-nationales. Armelle Sow et Khady Seck sont par exemple parties en Tunisie, c’est un premier pas. L’Angola règne sur le continent, mais certaines de ses joueuses se sont aussi émancipées dans les plus grands clubs. C’est un moyen de faire progresser le handball africain. En Europe, elles pourront améliorer leur technique, acquérir de la maturité.
Gardes-tu des contacts avec certaines joueuses ?
Énormément. Mes deux meilleures amies sont Fanta Keita et Doungou Camara. On se parle tous les jours au téléphone.
Les tentatives d’intimidation ont-elles déjà commencé ?
On se taquine un peu, oui. Mais avec beaucoup de bienveillance. Ce match est inattendu, je sais que les joueuses du Sénégal vont vouloir livrer un combat formidable parce que ce genre de rendez-vous n’arrive pas souvent dans une carrière. On a toutes hâte.
As-tu tissé des liens avec ce pays ?
Hors handball ? Oui, un peu, lors des stages par exemple. Des affinités se sont créées, j’ai des amis qui vivent au Sénégal et avec lesquels j’entretiens des contacts réguliers.
Quel bilan tires-tu de tes premiers pas avec l’équipe de France ?
C’est du plaisir à l’état pur. J’ai été très fière d’être appelée, cette fierté que j’ai aussi ressentie la première fois contre la Suède. J’avais la sensation du devoir accompli. Ce n’était pas une fin en soi, ni une sensation liée à la performance, au match, mais au fait que j’avais pris une décision compliquée, et qu’elle avait eu l’effet attendu, c’est à dire que je me retrouvais en équipe de France, à porter enfin ce maillot. Cette décision, je l’ai prise il y a quatre ans et je ne la regrette absolument pas.
Es-tu impatiente de disputer ce Mondial en Scandinavie, ta première compétition officielle avec les Bleues, mais ton deuxième Mondial après celui de 2019 ?
Bien sûr. Déjà, avec le Sénégal, nous avions vécu des moments extraordinaires. Peu de gens se souviennent que nous avions donné du fil à retordre à l’Espagne (20-29), à la Roumanie (25-29), que nous avions laissé la Slovénie d’Ana Gros derrière nous. Si j’ai fait ce choix, c’est pour vivre des moments extraordinaires, pour atteindre des objectifs élevés. L’équipe de France se retrouve souvent dans le dernier carré des grandes compétitions, c’est ce à quoi j’aspire aujourd’hui.
Avec Cléopâtre Darleux, Laura Glauser, puis désormais Camille Depuiset ou Floriane André les candidates au poste de gardienne de but sont nombreuses. Comment vis-tu cette concurrence ?
Elle est forte, mais je le savais en m’engageant. Le meilleur moyen de l’aborder, c’est de rester fidèle à ce que je suis. Je fais mon petit bonhomme de chemin, je m’entraîne, je fais en sorte de livrer les meilleurs matches possibles, d’améliorer ce qui doit l’être, de conforter mes points forts pour parvenir à ce à quoi j’aspire. Je suis surtout très ouverte au partage, à la communication, la discussion.
Disputer les Jeux olympiques à Paris, c’est un rêve ? Un objectif ?
C’est un objectif. La notion de rêve implique un aléa. Mes yeux sont rivés sur ce Championnat du monde et sur Paris 2024.
La première partie de saison s’est achevée dimanche avec un nouveau succès de Metz, face à Ljubljana. Quelle est ton analyse de ce bon début de saison ?
Manu (Emmanuel Mayonnade, le coach) a réussi à construire une équipe capable d’être performante en très peu de temps. Il s’est appliqué à faire en sorte qu’on sache jouer ensemble très tôt. On a perdu neuf joueuses dont Bruna (De Paula) et malgré cet effectif renouvelé à 60%, on marche toutes dans le même sens, c’est ce qui explique ces résultats. Je ressens comme une forme de sérénité dans l’équipe qui se cultive et s’entretient au fil des matches.
Tu tournes à près de 36% de réussite en League des Champions, à un ahurissant 50% en Championnat, doit-on parler de saison de la maturité ?
Il faut relativiser les 50%, parce que je n’ai pas beaucoup joué en Championnat. Mais j’essaie d’être le plus stable possible. On dit, oui, qu’une gardienne arrive à maturité entre 28 et 30 ans. Je ressens aujourd’hui de la différence dans mon jeu, dans ma façon d’apprivoiser les choses, je me découvre en quelque sorte. Je n’ai pourtant pas la sensation d’avoir changé ma nature, mais je sais ce que je sais faire, je me connais par cœur, et ça me donne une autre vision du rôle. Je sais ce que je dois rejeter, ou au contraire prendre de l’extérieur. C’est un sentiment difficile à expliquer, mais je sais ce que je suis, ce dans quoi j’ai envie de grandir, ce que j’ai envie de dégager.
* La Fédération Internationale (IHF) avait disqualifié le Sénégal consécutivement à une réclamation posée par l’équipe de Tunisie au prétexte que le Sénégal avait aligné Doungou Camara dans cette CAN alors que la joueuse avait participé au Mondial junior en 2014 en Croatie avec l’équipe de France, moins de trois ans, donc, avant cette CAN.