Victorieuse de toutes les compétitions majeures (Jeux olympiques, championnats du monde et d’Europe, Ligue des Championnes), Amandine Leynaud a mis fin à sa carrière internationale à la sortie de la finale olympique de Tokyo. La gardienne s’exprime au moment où elle referme le livre épais de l’équipe de France ; elle évoque aussi son avenir professionnel.
Cette semaine, Olivier Krumbholz annoncera le groupe pour les qualifications à l’EHF EURO 2022 et tu ne figureras pas dans la liste. Auras-tu un pincement au cœur ?
Oh je ne sais pas encore, mais aujourd’hui je suis très heureuse d’avoir pris cette décision. Le plus gros pincement au cœur, je l’aurai certainement lorsque l’équipe disputera une grande compétition officielle, comme le Mondial en décembre prochain.
Comment te sens-tu un mois cinq semaines après avoir décroché l’or et pris la décision de raccrocher ?
Je me sens sereine car, j’ai le sentiment d’avoir accompli tout ce que je devais réaliser avec l’équipe de France. Porter le maillot tricolore durant autant d’années, avoir disputé autant de compétitions et gagner autant de médailles, c’est une chance. J’ai aussi fréquenté plusieurs générations de joueuses et rencontré aussi beaucoup de personnes autour de l’équipe de France. Encore cet été à Tokyo, je me sentais chanceuse d’être là.
La plupart des médailles et tous les titres que tu as remportés sont intervenus à partir de la trentaine : qu’est-ce que cela t’inspire ?
Le premier mot qui me vient, c’est la patience. Avec les filles de ma génération, nous avons beaucoup et longtemps travaillé pour obtenir ces résultats. Alors oui, c’est la patience qui reflète le mieux ce parcours. J’ai parfois évoqué cela avec les joueuses qui sont arrivées depuis les J.O. de Rio. Faire du lien et apporter mon expérience pour rappeler par exemple qu’un grand résultat ne tient pas à grand-chose, qu’il faut donner toujours un peu plus. C’est très agréable de finir sur ces années-là. Après l’Euro remporté en France en 2018 – c’était extra de gagner à la maison – je voulais pourtant arrêter. Mais autour de moi, on me disait « continue, continue, tu ne vas pas t’arrêter sur ce titre. »
La configuration du tournoi olympique a été, pour le moins étonnante, avec quatre premiers matches très difficiles puis quatre matches dominés dans les grandes largeurs. Avec du recul, quelle est ton analyse ?
Dans le dernier carré figuraient trois équipes issues de notre poule. C’est vrai que notre début de compétition a été difficile, mais n’importe qu’elle équipe aurait perdu des matches. La Russie en a aussi perdu et elle a pourtant atteint la finale. Notre début de compétition a été à la hauteur de la difficulté de notre poule et je crois que, malgré tout, cela nous a aidées à être plus fortes, a puisé dans nos ressources. Pendant les deux semaines de la compétition, j’ai eu la sensation de disputer à chaque fois des matches couperets du dernier carré. Je me suis souvent dit que j’allais peut-être disputer mon dernier : il n’y a pas un seul match où j’ai pensé le contraire. Alors je me disais que j’allais tout donner et je crois que cet état d’esprit nous a permis d’aller plus loin.
Te parle-t-on beaucoup de ta performance extraordinaire face aux Pays-Bas ?
Je joue et je vis à l’étranger, c’est un peu le revers de la médaille car, franchement on ne m’en parle pas beaucoup. J’observe depuis la Hongrie que les filles profitent de leur médaille. À Györ, il y a pas mal de filles qui ont perdu, et je sais ce que c’est, alors il y a de la pudeur.
Et toi, alors, que dirais-tu si on te demandait comment tu as réalisé cette grande performance face aux championnes du monde ?
Sur le trajet du retour vers le village olympique, la question m’a été posée. Je suis quelqu’un de pudique, mais j’ai quand même répondu. En fait, lors de ce match, c’était comme si j’arrivais à lire les tirs avant qu’ils partent, comme si tout était clair et prévisible. C’était une sensation étonnante que je ne pourrais pas expliquer. Et c’est encore mieux lorsque cela arrive aux J.O.
Au-delà des compétitions victorieuses, quels sont les souvenirs que tu conserveras ?
Le hand, ce ne sont pas que les médailles, ce sont toutes les personnes que tu rencontres, les personnes qui te font évoluer, c’est tout le parcours. Donc c’est très difficile de choisir. Ce qui me marquera le plus, je pense, dans quelques années, ce sont tous les moments partagés avec ces personnes, qui te lient à jamais. Ce sont des liens tellement forts que je ne peux même pas l’expliquer à mes proches.
Comment va s’écrire la suite de ta carrière à Györ ?
Je n’aurais pas pu tout arrêter d’un seul coup. Je vais passer plus de temps avec ma famille tout en continuant à faire ce que j’aime. J’ai envie de vivre sereinement cette dernière année avec Györ, la première sans les stages et les compétitions avec l’équipe de France. Je vais essayer de faire un peu tout (sourire), d’être performante et de poursuivre en tant qu’entraîneure des gardiennes. Je vais donc continuer à beaucoup échanger avec Silje (Solberg) et Laura (Glauser) qui sont toutes les deux des filles supers.
Tu avais effectué une pige dans le staff des U20F avec Éric Baradat à l’été 2019. Le poste d’entraîneure spécifique des gardiennes n’est pas encore pourvu dans le staff de l’équipe de France. Est-ce une piste d’avenir ?
Le chemin n’est pas tout tracé mais je suis en train de passer mes diplômes. Il y a une vraie intention, il y a eu des discussions, mais le projet n’est pas encore concret. J’ai beaucoup souffert de l’absence d’une personne qualifiée qui a connu le sport de haut niveau à ce poste. On sait combien le rôle des gardiennes peut être déterminant, alors c’est mon devoir de partager car, l’équipe de France m’a beaucoup apporté. Si je peux rendre service aux futures générations, ce sera du bonus pour moi et pour l’équipe. Après autant d’années à servir ce maillot, je souhaite que l’équipe de France brille encore.
Lundi passé, lorsque tu as été distinguée par Emmanuel Macron, tes proches t’entouraient à l’Élysée. N’est-ce pas aussi une fierté d’avoir réussi à mener une carrière de haut niveau et fonder une famille ?
Je suis très discrète sur ma famille. Si mon travail est hyper important, ma famille est évidemment plus importante pour moi. Nous avons vécu des moments difficiles avec la naissance d’enfants grands prématurés. Ils sont encore un peu jeunes et lorsque je pars longtemps, même si je rapporte une médaille d’or, les enfants ne comprennent pas mon absence au quotidien. Ma femme m’aide énormément et au moment de recevoir la Légion d’honneur, je souhaitais vraiment partager ce moment pour les remercier. Je me sens hyper privilégiée.
Propos recueillis par Hubert Guériau