Vice-présidente de la FFHandball, en tête sur les questions d’égalité des sexes, Béatrice Barbusse a, par son parcours, beaucoup à dire alors que la journée internationale du sport féminin s’invite dans l’actualité lors de ce mois de janvier. L’occasion d’échanger pour un entretien du lundi passionnant et instructif.
Béatrice, après avoir été secrétaire générale de la Fédération Française de Handball, tu es devenue vice-présidente déléguée depuis un peu plus d’un an. Comment as-tu appréhendé ce nouveau rôle ?
C’est une fonction qui s’appréhende au jour le jour car il n’y a pas vraiment de guide. Une fonction c’est aussi la façon dont on se l’approprie. Cela se fait en fonction de ses compétences et de sa personnalité. J’ai donc essayé de trouver ma place, en tant que numéro 2 derrière le président. Il faut à la fois être partout et nulle part. Avoir été secrétaire générale me permet d’avoir une vision large de ce que peut-être la vie d’une fédération. Au quotidien, je suis notamment élue sur les questions de communication, sur le pôle citoyenneté – on travaille d’ailleurs en ce moment sur un plan de ce type en impliquant un maximum de personnes (l’AJPH, des anciens joueurs et des actuels) dans sa conception et sa réalisation –, je planche sur les violences sexuelles et les discriminations, je fais aussi de la représentation. Il y a beaucoup de dossiers.
Quel bilan tires-tu des derniers mois ?
Il y a beaucoup de plaisir à assumer cette fonction car c’est quelque chose qui me correspond à la fois dans ma manière d’être et de fonctionner – mon parcours laisse entrevoir le fait que je n’arrive pas à faire qu’une seule chose. Il n’y a pas de routine même si ça peut aussi être frustrant de ne pas avoir assez de temps –, mais aussi au regard de mes compétences.
Les récents résultats des équipes de France ont dû être un sacré coup de boost malgré une ambiance générale parfois morose, non ?
C’est un carburant incroyable. Pas seulement pour nous, les élus, mais c’est un carburant pour les pratiquants, pour le sport français. C’est tellement encourageant, ça ressource, ça dynamise et ça donne envie de continuer. Cela rassure aussi sur le fait que la politique menée au niveau de la FFHandball est la bonne, que les choix des hommes et des femmes qui ont été faits pour accompagner ces joueurs et ces joueuses sont les bons, tout comme les dispositifs. À titre personnel, le fait que le handball marche sur « ses deux jambes » comme dit Philippe Bana, c’est une satisfaction encore plus forte. Quand je vois ces filles arriver à avoir des résultats équivalents à ceux des garçons, je suis vraiment très heureuse. Car même si ça n’est pas une compétition, c’est bien de réussir à batailler pour cela aussi (rires). Ça montre notre esprit de compétition à tous. Surtout, ce que j’ai aimé c’est cette capacité de nos équipes à se renouveler et à aller chercher des résultats.
Il y a une politique volontariste sur ce point…
Pour fréquenter d’autres sports et d’autres dirigeants, je crois vraiment que le handball, depuis quelques années, est pionnier. Et il faut rendre à César, ce qui appartient à César. Cette approche égalitariste transpire de façon idéologique depuis André Amiel qui a lancé le mouvement en disant qu’il fallait mettre les moyens sur les filles. Deux ans après cette impulsion, Philippe Bana est arrivé en tant que DTN et il a porté ce message : on a donné des moyens à Olivier Krumbholz pour développer des performances et elles sont arrivées avec 1999 et 2003. Puis la suite que l’on connaît. Enfin, Joël Delplanque, le précédent président, a remis un coup sur cette question d’égalité des moyens mis à disposition des équipes de France masculine et féminine. Par ailleurs, les filles se sont battues pour avoir l’égalité de primes. De l’extérieur ça pourrait paraître naturel aujourd’hui, mais ça vient d’un état d’esprit et de convictions de certains dirigeants, mais aussi de cette volonté de ne pas se laisser faire chez les filles. Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a une différence entre les handballeuses et les autres sportives. Les filles osent prendre la parole quand quelque chose ne va pas. Avec nous, mais aussi face aux médias. On l’a vu avec Cléopatre Darleux qui a apostrophé L’Équipe quand elles n’ont pas fait la une. Et cela ne m’étonne pas donc que ça soit au handball que le premier accord sectoriel chez les filles existe dans un sport collectif en France. Ça n’est pas anodin. Mais en même temps, ça n’est pas naturel. Ce sont des valeurs que l’on cultive depuis des décennies et qui prennent une valeur importante car le contexte social s’y prête aussi. Et notre président, Philippe Bana, assume, cette position égalitaire. Quand on a un président féministe à la tête d’une fédération, c’est tout de même plus facile pour tout le monde d’avancer ensemble. Il faut une volonté politique au sommet. Aujourd’hui, on comprend que le sport féminin n’est pas une charge : il y a retour sur investissement en termes médiatiques, de notoriété et surtout de performances sportives. Et de bien-être pour les joueuses ! L’approche égalitaire, dans le handball, on ne pourra plus revenir en arrière.
Tu soulignes que l’accord sectoriel est quelque chose de très important. Pourquoi ?
C’est une grande avancée. Je n’ai même pas de mots pour qualifier cela. En matière d’égalité de droits entre les hommes et les femmes, c’est extraordinaire ce qui a été fait. Les joueuses vont pouvoir faire face plus tranquillement à la maternité notamment, mais aussi face à d’autres questions comme les congés étalés, les salaires minimums, les droits à la formation, etc. On peut donc dire que le hand est autant pro chez les filles que les garçons. On peut être considéré comme pro quand on est payé, mais d’un point de vue social, sociologique, juridique, il faut ce type d’accord comme pour les autres salariés. Il y a un vrai sentiment de fierté. Cet accord signe l’achèvement de l’entrée dans le professionnalisme.
Cela doit pouvoir inspirer ailleurs…
Notre propos n’est pas de donner des leçons. Au handball, une de nos valeurs principales, c’est l’humilité et cela fait des années que l’on travaille dans notre coin. On est des besogneux, on sait d’où l’on vient car pour sortir de l’anonymat dans lequel on était il y a 50 ans, il en a fallu de la volonté. Maintenant si cela peut montrer au monde sportif que c’est possible sur ce point, on ne va pas se gêner.
S’il reste un écart entre la Liqui Moly Starligue et la Ligue Butagaz Energie, tout comme la Proligue et la D2F, il y a, là aussi, de sérieux motifs de réjouissance ces derniers temps. L’écart semble se combler petit à petit, non ?
Il y a un vrai travail qui est effectué pour développer le handball féminin, dans les deux divisions, et en dessous aussi évidemment. C’est pour cela que nous avons pris la décision d’intégrer la D2F à la LFH. Les clubs font un travail remarquable, les dirigeants ne comptent pas leur temps. L’AJPH et l’UCPH sont aussi hyper mobilisés pour aider. À la Ligue, avec peu de moyens, la présidente Nodjialem Myaro et la directrice, Vanessa Khalfa, et ceux qui travaillent à leurs côtés, font des choses énormes. Et sur le terrain, le niveau sportif est en constante progression. On ne voit plus la même chose qu’il y a simplement 10 ans. Les filles sont à fond, elles sont pros et elles progressent. On n’en est pas encore au niveau des garçons dans tous les secteurs mais d’un point de vue sportif, la saison dernière a démontré que c’était quand même costaud. On se régale !
Ce lundi 24 janvier, c’est la journée internationale du sport féminin. Est-ce toujours un type de journée important à tes yeux ?
Hélas ! J’aimerais comme toutes les féministes que ce genre de journées n’existe plus car ça voudrait dire que l’on n’en a pas besoin. Et en même temps… on en a besoin ! Il faut faire avancer le sport féminin, le mettre en avant. Et comme il n’est pas mis en avant de façon spontanée, on est obligé de créer des journées comme ça, ou des semaines du sport féminin comme ce sera le cas en février.
On le disait juste avant, si dans le handball, en France, les choses semblent aller dans le bon sens, ça n’est pas le cas partout…
Il y a un paradoxe car certaines choses avancent et d’autres non. Le verre est au tiers plein et deux tiers vide. Le constat que j’ai fait en mettant un point final à mon dernier ouvrage, c’est que le sexisme est encore tenace en 2022. Tant qu’il sera aussi pesant sur la société française et le sport féminin, ça sera compliqué de faire avancer les choses. On l’a vu ces derniers jours avec la proposition de loi au Sénat sur la démocratisation du sport, et notamment l’article 5 portant sur la gouvernance des fédérations et la parité, ainsi que la limitation du nombre de mandats à la tête d’une fédération. On a vu ce qu’il s’est passé au Sénat. C’est démotivant et heureusement que je vois ce que l’on réalise au handball pour me dire que c’est possible. Il faut y aller et continuer. Il y a un message à passer aux sportives et sportifs : « Mesdames, et Messieurs de bonne volonté, c’est possible d’avancer et de faire tomber des points de vue et des postures dépassées, archaïques et rétrogrades. » On va y arriver. Il reste deux tiers de chemin à faire… car la situation du sport féminin n’est pas folichonne en termes de visibilité, de médiatisation, d’égalité salariale, des moyens mis à dispositions comme les créneaux, les salles, les subventions… Mais on va continuer de travailler pour l’avenir et les futures générations. Il faut des prises de conscience.
Il y a beaucoup de pas à faire…
La prise de conscience est le premier acte. Et ensuite, il y a l’action. Entre les deux, il peut y avoir du temps d’écoulé, mais c’est pour cela qu’il ne faut pas relâcher les efforts. Il faut être patients, il faut continuer à faire des tables rondes, à expliquer, faire de la pédagogie, montrer par l’exemple comme on le fait au handball. Écrire, faire des interviews, cela compte aussi.
Les exemples inspirants peuvent aussi changer la donne ?
Tout à fait. On s’en rend compte avec nos joueuses. En haut, on a Cléopatre Darleux, présentée par Vanity Fair comme une des 50 personnalités françaises les plus influentes au monde. C’est un truc de dingue ! En bas, ça provoque l’attractivité du handball chez les petites filles. Nodjialem Myaro, c’est pareil… Une femme noire à la tête de la Ligue Féminine de Handball, vice-présidente de la Fédération Française de Handball, championne du monde, ça compte. Cela concrétise des perspectives. Derrière cela, il y a des responsabilités à assumer qui sont importantes mais c’est le jeu.
Malgré le refus du Sénat d’adopter ce fameux article 5, passer par la loi est nécessaire pour que l’égalité avance ?
Depuis la fin du 19e siècle à nos jours, c’est la loi qui impulse les choses. Précisément sur le sport, il existe une thèse d’Annabelle Caprais qui porte sur la gouvernance dans le sport français dans laquelle elle s’est intéressée aux effets de la loi du 4 août 2014 de Najat Vallaud-Belkacem qui a mis en place les 40 % de représentativité pour les femmes. Elle explique bien que, dans les fédérations qui jouent bien le jeu, oui ça a eu un effet. Ça a permis de passer un cap, mais ça n’est pas suffisant. A priori, je n’étais pas pour les quotas et la discrimination positive, mais force est de constater que sans ça, ça n’avancera pas. On a pu voir la même chose dans l’entreprise où il y a eu des avancées du même type après des lois. Cela inscrit les choses dans la tête des gens. Mettre sa ceinture de sécurité par exemple, c’est obligatoire. Si on ne le fait pas, on prend un PV. Mais quand on le fait, on ne pense plus à la loi, on le fait par réflexe, pour se protéger. Là, c’est la même chose. Mais ça prend du temps. Donc plus vite on inscrit cela dans la loi, plus vite ça fera avancer les mentalités. Au niveau de la fédération, les 40 %, on l’a mis en place depuis 2016 au niveau national, régional et départemental. On en est à la 2e mandature. Notre règlement est respecté au niveau national par les ligues mais pas par les comités départementaux qui tournent aux alentours de 38 % de femmes. Et pourtant, ça fait 6 ans que l’on a voté. Je pense qu’à la prochaine mandature, on y arrivera, mais cela voudra dire qu’il aura fallu un certain temps pour y parvenir. Ainsi si tu recules au niveau national la parité de 2024 à 2028, il n’y aura rien avant 2032 ou 2036… Alors qu’on est en 2021 !
Quelles sont selon toi les décisions prioritaires à mettre en place ?
Il y en a une première que je ne peux pas dévoiler car on va l’annoncer bientôt avec une personnalité sportive, qui a la primeur, et qui concerne les violences sexuelles. Il y a là un combat primordial à mener. Dans ce domaine, notamment, il ne faut pas que le sport ait honte de lutter. Il faut avoir honte de ne pas le faire savoir ou de cacher les choses. En revanche il y en une que j’avais proposée dans une tribune du Monde pendant la pandémie. Elle concerne la disparité dans la répartition des subventions. Et pour corriger cela il faudrait mettre en place des budgets genrés. Ça nécessite un travail de comptabilité mais c’est nécessaire. Il y a une loi qui date d’il y a peu de temps qui impose aux communes de plus de 20 000 habitants de présenter un rapport d’égalité entre les hommes et les femmes dans un certain nombre de domaines, dont la culture. Mais il n’y a pas le sport. Il faudrait donc que le sport soit inclus dedans. Par ailleurs, les villes de plus de 20 000 habitants, ça représente peu au niveau du territoire, il faudrait donc étendre cette loi aux villes de plus de 5000 habitants : cela toucherait plus de 75 % de la population française. Cela permettrait de rendre visibles les inégalités et avec le temps de les corriger. L’autre mesure, c’est celle de l’article 5 évoqué plus haut qui doit repasser bientôt devant une commission mixte paritaire. Ce minimum d’égalité est vraiment très important. Il faut que l’égalité soit en haut et en bas !
Propos recueillis par Antoine Bréard